Commentaire de la Prière en six vers de vajra

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Dudjom Rinpoché

Guru Padmasambhava

L’ornement de la vision éveillée de Padmasambhava

Une explication de la Prière en six vers de vajra

par Dudjom Rinpoché

Oṃ svasti !

Tu es un joyau qui exauce tous les souhaits :
Il suffit de penser à toi pour écarter la souffrance.
Ô guru, maître souverain, je m’incline avec dévotion.

Permets-moi de révéler en quelques mots
Le sens de la
Prière en six vers de vajra.

Voici ce que dit la prière[1] :

Personnification des bouddhas du passé, du présent et du futur, Guru Rinpoché ;
Maître de tous les siddhi, Guru de grande félicité ;
Toi qui dissipes tous les obstacles, Courroucé qui subjugues les māra,
Je t’en prie, inspire-moi de tes bénédictions
Pour que les obstacles, extérieurs, intérieurs et secrets soient dissipés
Et que toutes mes aspirations s’accomplissent spontanément !

C’est la quintessence de toutes les prières issues des profonds terma d’Orgyen Chokgyour Déchen Lingpa. Elle est porteuse des bénédictions de la parole éveillée de Guru Rinpoché lui-même. Pour en clarifier quelque peu la signification, je l’expliquerai conformément à la tradition orale du maître omniscient, Dorjé Ziji Tsal, alias Jamyang Khyentsé Wangpo, telle qu’elle me fut transmise par mon propre maître, Gyourmé Ngédon Wangpo.

Le premier vers va comme suit :

Personnification des bouddhas du passé, du présent et du futur, Guru Rinpoché;

Extérieurement, parmi les trois joyaux, ce segment évoque le joyau du Bouddha, parce que le maître, qui est inséparable du corps, de la parole et de l’esprit secrets de tous les bouddhas du passé, du présent et du futur, est en fait Orgyen Rinpoché lui-même.

Intérieurement, parmi les trois racines, il est ici question du lama, la source des bénédictions. En effet, Orgyen Rinpoché personnifie la sagesse de tous les maîtres des lignées [de transmission] directes d’esprit à esprit, symboliques et orales.

Secrètement, parmi les trois kāyas, il est le dharmakāya, parce que sa nature même a toujours été primordialement présente en tant que śūnyatā dotée de tous les aspects suprêmes, au sein de laquelle les corps et sagesses des bouddhas sont indivisibles.

Maître de tous les siddhi, Guru de grande félicité,

Extérieurement, ce vers fait référence au joyau du Dharma, parce que les précieuses qualités des domaines supérieurs et la bonté définitive proviennent toutes d’avoir pratiqué conformément à la parole du Guru.

Intérieurement, cela renvoie à la déité yidam, la racine des siddhi, parce que tous les accomplissements, ordinaires et suprême, dépendent de Guru Rinpoché.

Secrètement, il est le sambhogakāya, parce que bien qu’il ne s’écarte jamais du dharmakāya, il fait l’expérience de l’intégralité des phénomènes du saṃsāra et du nirvāṇa sous forme de grande félicité immaculée.

Toi qui dissipes tous les obstacles, …

Extérieurement, il est ici question du joyau du Saṅgha, parce que la disparition des obstacles aux cinq voies et aux dix étapes et la manifestation de toutes les précieuses qualités dépendent de nos compagnons sur la voie – le Saṅgha –, qui dépendent à leur tour d’Orgyen Rinpoché.

Intérieurement, ce segment évoque les ḍākinīs et dharmapālas, la racine de l’activité éveillée, parce qu’ils retirent les obstacles aux étapes et aux voies pour le pratiquant et qu’ils créent les circonstances favorables au moyen des quatre activités éveillées. Ils dépendent eux aussi d’Orgyen Rinpoché, puisqu’il est le seigneur de tous les maṇḍalas.

Secrètement, il est le nirmāṇakāya, parce que dans la perception des disciples – qu’il s’agisse des plus grands, des plus modestes ou de tous les cas de figure entre les deux –, il émane des formes pour apprivoiser tout un chacun de façon appropriée. Puis, en enseignant – conformément à leurs mentalités – tous les points cruciaux et secrets du Dharma vaste et profond, il les établit sur la voie de la maturation et de la libération.

De la sorte, celui qui personnifie extérieurement les trois joyaux, intérieurement les trois racines et secrètement les trois kāyas, et qui est la forme universelle de tous les bouddhas, la source de tous les enseignements du Dharma et la magnifique couronne de tout le Saṅgha, ce grand éveillé omniprésent, seigneur de toutes les familles de bouddhas, a ce nom secret :

… Courroucé qui subjugues les māra,

La raison est la suivante. Il subjugue instantanément les quatre māra terrifiants et abat dans l’espace les trois « ennemis secrets » – la saisie dualiste, la fixation égotique, et l’attachement et l’aversion. Ce faisant, par sa réalisation, il se libère lui-même. Puis, sans marquer de pause, et avec la pleine maîtrise des quatre activités éveillées, sa compassion incessante annihile la négativité et prend soin des êtres. Ce faisant, par sa bienveillance, il libère les autres. Et par la force de sa grande sagesse primordiale dotée de la double pureté, il libère tous les obscurcissements émotionnels et cognitifs, de même que toutes les tendances habituelles, dans la non-dualité de l’espace et de la présence éveillée. C’est pourquoi il possède le nom d’Énergie courroucéeDrakpo Tsal.

On s’adresse donc à ce maître qui possède de telles qualités extraordinaires :

Je t’en prie, …

Extérieurement, prier avec enthousiasme, ferveur et dévotion pour atteindre promptement les siddhi ordinaires et suprême, c’est la pratique de nyenpa, ou approche. Intérieurement, se rappeler et visualiser que notre corps, notre parole et notre esprit sont primordialement le maṇḍala du corps, de la parole et de l’esprit éveillés, c’est la pratique du droubpa, ou accomplissement. Secrètement, on détermine d’abord que le lama n’est autre que la nature de notre propre esprit, qui incarne les quatre corps des bouddhas et les cinq sagesses primordiales, puis on mêle son esprit de sagesse avec notre esprit, et l’on repose dans la condition naturelle, le flot ininterrompu de rigpa autoconnaissant, totalement naturel et à l’aise – et c’est alors une prière au sens de la pratique de léjor, ou activité.

Ainsi, quand nous prions,

… inspire-moi de tes bénédictions

nous appelons notre propre transformation par l’intermédiaire de ses bénédictions : – notre corps est béni par le corps de sagesse du lama, et réalisé en tant que corps adamantin associé à l’inséparabilité des apparences et de la vacuité ; – notre parole est bénie par la parole de sagesse du lama, et réalisée en tant que parole adamantine associée à l’inséparabilité du son et de la vacuité ; – notre esprit est béni par l’esprit de sagesse du lama, et réalisé en tant qu’esprit adamantin associé à l’inséparabilité de la présence éveillée et de la vacuité.

Dissipez les obstacles extérieurs, intérieurs et secrets, et…

Ce qu’on appelle « obstacles », ce sont toutes les conditions et circonstances défavorables à l’accomplissement de l’éveil. Les obstacles externes comprennent les seize grands dangers : 1) le danger de l’orgueil, associé à la terre ; 2) le danger de l’attachement, associé à l’eau ; 3) le danger de la haine, associé au feu ; 4) le danger de la jalousie, associé à l’air ; 5) le danger des éclairs, météores et coups de tonnerre ; 6) le danger des armes tranchantes et puissantes ; 7) le danger des tyrans et de l’emprisonnement ; 8) le danger des voleurs et ennemis ; 9) le danger des démons, mangeurs de chair et joungpos ; 10) le danger des éléphants fous et enragés ; 11) le danger des lions et prédateurs ; 12) le danger du poison et des serpents ; 13) le danger des maladies et épidémies ; 14) le danger de la mort prématurée ; 15) le danger de la pauvreté et des privations ; 16) le danger des souhaits inassouvis et des projets contrariés.

Les obstacles internes sont les quatre māra, à savoir : 1) le māra des skandhas (la saisie du soi) ; 2) le māra des émotions destructrices (l’attachement et la fixation) ; 3) le māra de dévapoutra, qui nous distrait et nous trompe ; et 4) le māra de la mort, qui nous vole notre vie.

Les obstacles secrets sont les cinq poisons des émotions destructrices, c’est-à-dire : 1) l’attachement et le désir ; 2) la haine et la colère ; 3) l’ignorance et la stupidité ; 4) l’orgueil et l’arrogance ; 5) la jalousie et l’envie.

Chaque fois que l’un ou l’autre de ces obstacles fait surface, il nous empêche d’atteindre les niveaux de la libération et de l’omniscience. Par conséquent, nous prions pour que nous puissions dissiper les obstacles externes en réalisant qu’apparences, sons et présence éveillée sont le jeu de la déité, des mantras et du dharmakāya ; pour que nous puissions dissiper les obstacles internes en libérant sujet et objet dans l’espace de l’absence de soi ; et pour que nous puissions dissiper les obstacles secrets en faisant des cinq poisons les cinq sagesses et en intégrant l’adversité à la voie. Autrement, on peut prier pour que tous ces obstacles soient dissipés par le seul pouvoir des bénédictions du corps, de la parole et de l’esprit secrets d’Orgyen Rinpoché.

Accorde tes bénédictions pour que toutes mes aspirations s’accomplissent spontanément!

Il y a deux sortes d’aspirations : immédiates et ultimes. Dans le premier cas, nous prions pour que tant que nous n’ayons pas réalisé l’éveil, nous accumulions toutes les conditions favorables requises pour y parvenir. Dans ce contexte, il est dit :

Une vie longue, dépourvue de maladies,
Une belle apparence, une bonne fortune, une bonne famille,
La prospérité et l’intelligence : voilà les sept.

En général, on prie ainsi pour que notre vie soit dotée de ces sept qualités associées aux renaissances supérieures. Mais, plus spécifiquement, on prie pour que notre esprit s’enrichisse des « sept richesses des nobles » : la foi, la discipline, l’effort joyeux, la maîtrise de soi, l’érudition, la générosité et la sagesse.

L’aspiration ultime est de parvenir à l’accomplissement suprême du mahāmudrā. La base, l’essence de l’esprit de tous les êtres sensibles, le sougatagarbha, repose en nous tous depuis des temps sans commencement en tant que nature de bouddha. Cependant, quand on ne reconnaît pas notre propre visage véritable, il est voilé par les deux obscurcissements et les tendances habituelles adventices, et nous errons dans le saṃsāra. Cela étant, en guise de remède pour ces deux obscurcissements, sur le chemin nous pratiquons l’union des deux accumulations – mérites et sagesse – ou l’union des phases de génération et d’achèvement. On parvient ainsi au fruit, parce que l’essence de notre esprit est naturellement pure, et composée des quatre corps des bouddhas et des cinq sagesses : quand les obscurcissements adventices se dissolvent dans l’espace, la condition naturelle des choses, « l’ainsité », se révèle totalement, telle qu’elle est. C’est ce qu’on entend par « l’atteinte du siddhi suprême ».

C’est pourquoi l’on prie ainsi : « accorde tes bénédictions pour que toutes les aspirations immédiates et ultimes s’accomplissent promptement, naturellement et spontanément, sans effort ni la moindre difficulté ».

La voie rapide et suprême, la meilleure d’entre toutes,
Est cette prière adressée au maître sublime et parfait.
Si tu souhaites la paix et le bien-être, ou quoi que ce soit d’autre, dans cette vie et les suivantes,
Accorde toute ta confiance à cette prière et compte toujours sur elle.

Grâce au mérite qui découle de cette composition, puissions-nous tous
Être sous la protection du Guru dans toutes nos vies ;
Puissent toutes nos aspirations – pour nous-mêmes et autrui – être exaucées conformément à nos désirs ;
Et puissent tout être favorable à la croissance continuelle de l’altruisme et du bonheur !

Quand sa noble compagne Tséten Yudrönma l’a implorée, la jeune pousse issue des vidyādharas, Jikdral Yéshé Dorjé, a simplement écrit ce qui lui est venu à l’esprit, dans la grotte de Sengé Samdroup, à Paro Taktsang, au Bhoutan. Siddhirastu !


| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise de Patrick Gaffney (Rigpa Translations, 2015), qui remerciait Alak Zenkar Rinpoché et saluait Erik Pema Kunsang dont il avait consulté une traduction antérieure.


Bibliographie

Édition tibétaine

'jigs bral ye shes rdo rje. "gsol 'debs rdo rje'i tshig rkang gi rnam bshad pad+ma'i dgongs rgyan/" in gsung 'bum/_'jigs bral ye shes rdo rje. 25 vols. Kalimpong: Dupjung Lama, 1979–1985. Vol. 4: 503–511.


Version : 1.0-20240428



  1. Nous reprenons intégralement la traduction de la prière qui figure sur le site.  ↩

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