Commentaire sur le Guru Siddhi Mantra

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Dodrupchen Jigme Tenpe Nyima

Guru Padmasambhava

Une guirlande de nénuphars nocturnes[1]

Commentaire sur le Guru Siddhi Mantra

par Jigmé Tenpé Nyima

Hommage à Padmasambhava, Grande et Glorieuse Félicité !

Kāya de sagesse, unité au-delà de tout apprentissage,
Ton sourire éclatant est le jeu de l’immortelle félicité-vacuité.
Lune resplendissante fraîchement née d’un lotus
Et s’élevant dans la cité de la roue de jouissance[2],
Tu es la personnification même de tout ce qui procure de la joie !

Il y a de nombreuses façons d’expliquer ce roi des mantras secrets. De nos jours, tout le monde – à commencer par ces jeunes moines qui, à peine capables de serrer leur ceinture, effectuent des services rituels à gauche et à droite, y compris pour les animaux d’élevage des riches propriétaires – récite les syllabes de ce mantra, en se vantant et en affirmant toutes sortes de choses. Toutefois, il sembleraient que ces gens n’ont pas même une once de certitude à l’égard de la signification du mantra. Je l’expliquerai donc en termes familiers, m’exprimant de façon concise et facile à comprendre. Je ne m’adresse pas ici aux grands pratiquants érudits des tantras nyingma, ni aux lettrés orthodoxes qui adhèrent aux mots creux des intellectualistes querelleurs. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une analyse systématique ; nulle grille de pointage, ici. J’écris pour les nombreux mantrins citadins, ni moines ni bönpos, qui confondent les principes essentiels des mantras secrets avec des mantras de leur propre invention. Ceux d’entre vous dont l’intelligence est faible, incapables de comprendre des notions complexes et élaborées, mais souhaitant réciter ce mantra – vous qui n’êtes pas du genre intellectuel, tendez donc l’oreille et accueillez les quelques propos absurdes qui vont suivre.

J’expliquerai le mantra conformément aux histoires narrant la vie et la libération de Padma, le Seigneur des Vainqueurs. Ainsi, ce mantra nous viendra facilement à l’esprit.

Le tout comporte deux parties :

  1. Se rappeler les qualités du Grand Maître
    1.1. L’explication principale des vastes qualités du Maître
    1.1.1. La présentation du mantra général [oṃ āḥ hūṃ]
    1.1.2. La présentation du mantra spécifique [vajra guru] à la lumière des grands événements de la vie et de la libération de Guru Rinpoché
    1.2. Une description du nom du guru [Padma] qui possède ces qualités
  2. Le supplier [avec siddhi hūṃ] d’exaucer tous nos souhaits, parfaitement et entièrement

1. Se rappeler des qualités du Grand Maître

1.1. L’explication principale des vastes qualités du Maître

1.1.1. La présentation du mantra général

Le mantra commence par « oṃ āh hūṃ ». Oṃ figure généralement au début des mantras. Cette syllabe est le mantra de la consécration : elle suscite la gloire, fait abonder la bonne fortune, et beaucoup d’autres choses encore. En bref, il est expliqué dans La Pointe du Vajra[3] et ailleurs que « oṃ » exprime d’heureux auspices. Cela dit, dans notre contexte, nous allons expliquer les trois syllabes – oṃ āh hūṃ – comme résumant ensemble l’essence des trois vajras.

La signification de la syllabe oṃ

« Oṃ » fait référence au corps de vajra de tous les bouddhas. Bien qu’en général, tous les corps formels des bouddhas soient adamantins, c’est principalement le « oṃ » que les écritures appellent « le vent de sagesse tournoyant dans l’espace fondamental ». En d’autres mots, le vent peut être le pur support de la grande félicité de la sagesse coémergente ; et quand il a gagné en force et qu’il est parvenu à maturité, il peut devenir d’une même essence avec l’esprit inné de grande félicité. Dans le système extraordinaire des mantras insurpassables, les corps grossier et subtil sont divisés en trois : 1) le corps grossier interne ; 2) le corps grossier externe ; 3) le corps subtil avec ses trois mille subdivisions, le long desquelles circule l’élément du vent. Quand tous ces vents sont pacifiés au sein de la totale pureté de l’espace fondamental, le vent inné émerge comme le mudrā du filet magique [de l’union] des apparences et de la vacuité. Cela est appelé « le vajrakāya du corps d’arc-en-ciel du grand transfert ».

La signification de la syllabe āh

« Āḥ » fait référence à la parole adamantine. De plus, comme il est enseigné dans le Filet magique[4] :

« A » n’est pas vide, ni non vide ;
Il ne s’agit pas non plus d’un milieu objectivable.

Dans ce contexte général, la parole de vajra consiste en la totalité des modulations tonales de la parole de tous les bouddhas – illimitée et en harmonie avec les différentes convictions et conceptions de tous les types d’êtres. Toutefois, dans le système extraordinaire de l’Atiyoga, roi des véhicules, la lettre « A » exprime le sens définitif et immuable. Un autre tantra dit :

Dans le centre du cœur, il rayonne,
Indestructible et pur, comme une lampe ;
Immuable et des plus subtils –
« A », le seigneur sacré.

Cette façon d’expliquer la syllabe « A » implique qu’elle symbolise la goutte de l’esprit-énergie (lung-sem) immuable. Le sens est le même que celui de l’inexpressible bindu [de l’union] des apparences et de la vacuité – le corps de jouvence rayonnant intérieurement dans le vase du lumineux pinacle adamantin. Il apparaît comme le son naturel de l’expression du chakra du vent[5]. C’est également le fondement de toute expression qui émerge de l’espace fondamental. Cela peut se comprendre facilement quand on connaît bien les différentes étapes de l’expansion et de la réunion des vents de la naissance à la mort.

La signification de la syllabe hūṃ

« Hūṃ » fait référence à l’esprit de vajra de tous les bouddhas. C’est la sagesse lumineuse, naturellement manifeste qui partage une saveur unique avec le vent subtil spontanément présent, la quintessence du corps adamantin d’arc-en-ciel du grand transfert mentionné plus haut. « Hūṃ » est donc la vraie nature, le caractère final et actualisé de toute chose ; c’est la pureté atteignant son ultime horizon. La conscience éveillée, vide et virginale, n’est jamais dissociée[6] de la nature non née qui est libre de toute complexité ; pourtant, il se trouve que toutes les qualités y sont présentes, entières et manifestes dans leur éphémérité. Toutes les infinies qualités des bouddhas – comme les dix pouvoirs et les quatre intrépidités – sont indivisibles. Le mot « vajra » s’applique donc.

Par conséquent, on dit à juste titre que l’ensemble des vastes qualités des trois vajras des tathāgatas est entièrement parfait au sein de la nature de la roue perpétuelle et ornementale des trois secrets du Seigneur Padmākara. Il va sans dire qu’il y a aussi les points profonds et extraordinaires des systèmes des sūtras et des tantras en général, ceux du système insurpassable des mantras secrets en particulier, et tout spécialement ceux de notre système de la Grande Perfection naturelle. Si un imbécile immature comme moi tentait de les expliquer, il pourrait sans doute produire toute une pile de volumes inutiles… Mais, comme je l’ai dit, le présent texte n’est qu’une introduction destinée aux jeunes vénérables de ma génération, et aux gens simples et plus âgés.

1.1.2. La présentation du mantra spécifique [vajra guru] à la lumière des grands événements de la vie et de la libération de Guru Rinpoché

« Vajra guru » se traduit en tibétain par « dorjé lama » [et en français par « enseignant indestructible » ou « maître de vajra »]. Il est dit dans La rencontre du père et du fils[7] :

Pour que ce Grand Héros, expert en moyens habiles,
Puisse mener les êtres à leur pleine maturité,
Le Vainqueur s’est manifesté sous l’aspect du Bouddha
Dans des millions et millions de mondes.
En cet instant même, ô Guide,
Tu déploies ainsi de nombreux bouddhas.

En réalité, le Seigneur des Vainqueurs Padmākara avait déjà intégralement accompli le grand éveil il y a de cela d’incalculables ères cosmiques. Pourtant, aux yeux des disciples dont la perception était limitée, Padmākara prit naissance dans un lotus à mille pétales qui s’épanouissait merveilleusement sur les eaux du grand lac de Sindhu, manifestation témoignant de son accomplissement de l’état immortel d’un « vidyādhara en apprentissage ». Ainsi le Vajraguru est-il connu sous le nom de « Grand Vajradhara Né-du-Lac ». Bien qu’on n’aurait jamais assez de mots pour décrire l’histoire de sa vie et de sa libération, essentiellement, il s’est pleinement éveillé en empruntant la voie du yoga insurpassable, le Vajrayāna.

Tout d’abord, quand Padmākara fut investi du pouvoir sacré et royal sur l’Oḍḍiyāna, le royaume d’Indrabhūti, roi riche et aveugle, ce fut comme lorsque le glorieux Saraha se fit initier à l’essence du Buddhakapāla-tantra[8]. Grâce à son entraînement antérieur, il put parfaire naturellement, dans le cadre de cette même vie, la voie de l’accumulation – la phase de développement des profonds mantras – et la voie de la jonction – la phase d’achèvement où s’appliquent les points essentiels relatifs aux trois emplacements adamantins.

Padmākara voyagea jusqu’à Śītavana, le charnier du Frais Bosquet, où il s’engagea dans les pratiques d’accroissement de la conduite yogique. Comme l’enseigna Saraha, l’Archer :

Fais résonner chants, danses et musique
Dans toutes les directions ! Quand les yoginīs tournent vers la droite,
Et que tu surpasses les points de repère,
Ta conduite se trouve dénuée de tout effort.

Par le pouvoir du vajra-samādhi intrinsèque de la grande joie innée – la félicité-vacuité et son déploiement de terres pures, de mantras et d’une merveilleuse assemblée de yoginis innées – Padmākara a actualisé sans le moindre effort le niveau appelé « suprême Dharma » sur la voie de la jonction, conformément à l’insurpassable mantra[yana].

Quand Padmākara alla secrètement rencontrer Vihārdhara, le roi du Zahor, et Indrabhūti, le roi de l’Oḍḍiyāna, les deux dirigeants tentèrent de brûler son corps sacré[9]. Chaque fois, les flammes s’élevant du bois de santal imbibé d’huile de sésame se transformèrent en filets d’eau fraîche, et Padmākara apparut frais et dispo sur la tige d’une fleur magique. Ce n’est là qu’un exemple des événements qui se produisirent, autant de marques de son accomplissement de la voie de la jonction – sa réalisation de l’insurpassable niveau du suprême Dharma. À dire vrai, même dans le véhicule général des pāramitā, il est dit que « ceux qui en sont à leur dernière existence » ne mourront pas d’eux-mêmes ni de la main d’autrui. Rien qu’en se penchant sur les explications de l’Abhidharma de base, on peut s’assurer que le support corporel de qui est « doté du suprême et insurpassable Dharma » deviendra la forme unifiée d’un détenteur du vajra au-delà du transfert. Donc, il va sans dire que les éléments internes et externes ne peuvent véritablement faire de tort à Padmākara. Cette caractéristique et les autres types de conduites yogiques et magiques sont comme les tréfonds de l’océan : leur profondeur est telle que l’esprit des êtres immatures peine à les comprendre. Telle est l’ampleur de la grande vague de bienfaits qu’il souleva pour lui-même et les autres.

De plus, Padmākara a actualisé la luminosité ultime – le goût unique et l’essence inséparable de la double vision profonde. C’est ce qu’on appelle être « doté de toutes les caractéristiques suprêmes », et cela indique la pacification totale des plus subtiles distinctions de l’expérience dualiste, en référence à 1) la sagesse innée et 2) l’ainsité des phénomènes. Pour y parvenir, Guru Rinpoché s’en est remis au moyen rapide du gaṇacakra à Yangleshö au Népal, et a ainsi manifesté l’accomplissement du « suprême siddhi du mahāmudrā ». Celui qui a parachevé la voie suprême, et qui est reconnu comme un « vidyādhara maître de la longévité », a ainsi atteint la voie de la vision des insurpassables mantras. Comme le dit la prière des paroles adamantines[10] : « En ce lieu sacré, tu as atteint le siddhi du mahāmudrā. »

L’omniscient Rigdzin Jigmé Lingpa explique que le « suprême accomplissement du mahāmudrā » correspond à la voie de la vision sur le chemin des insurpassables mantras[11].

En bref, le terme « lama » en tibétain [ou « maître » en français] est l’équivalent de « guru ». Ce dernier dérive de guṇa, qui signifie « qualités », et de ru, qui signifie « pesant ». Ainsi, l’esprit du Grand Maître est « lourd » de qualités, tellement il en est rempli. Quelle est la cause de ce poids ? Par quels moyens parvient-on à une telle densité ? Et quelles sont au juste les qualités qui possèdent une telle charge ? Comme il est dit, « le vajra est lourd en termes d’indestructibilité ».

La principale cause de ce « poids » est qu’il ne peut jamais être détruit par les taches adventices de la pensée empreinte d’illusions. On parle donc d’esprit adamantin ou inné et indestructible – la base lumineuse, la grande libération, la base du corps du vase de jouvence. Les conditions coémergentes requises pour que cela se produise sont 1) la profonde phase de génération : la voie dont l’aspect est similaire à la sagesse subtile de la clarté intérieure, le véritable état de la base, l’aube spontanée [de l’union] des apparences et de la vacuité ; et 2) l’extraordinaire phase d’achèvement : la réalisation que les trois mondes du saṃsāra ont toujours été libres. Grâce à ces moyens et d’autres encore, le résultat – les trois vajras des bouddhas – est mis en œuvre, et l’on parle alors de « l’insurpassable voie adamantine ».

Quelles sont ces qualités, essentiellement ? En s’en remettant aux moyens habiles de la voie adamantine – la sagesse de la base de vajra –, la sphère objective devient la nature innée de la luminosité qui se connaît elle-même, la vastitude illimitée, libre de toute contrainte. Au sein de ce même espace, le sujet, la sagesse indestructible de la grande perfection parvenue aux six qualités spéciales[12], est parachevé en tant qu’essence des qualités adamantines, entières et spontanément présentes. C’est précisément le sens du terme « vajra ».

1.2. Une description du nom du guru [Padma] qui possède ces qualités

Qui possède donc un tel océan de qualités merveilleuses, secrètes et inégalées ? Dans le contexte de cet enseignement, il s’agit de celui qui est reconnu comme le « Parfait Bouddha Padma » dans les infinies terres pures des bouddhas des trois kāyas. Pourquoi l’appelle-t-on « Padma » ? Tout d’abord, il naquit miraculeusement sur le pistil d’un padma, c’est-à-dire d’une fleur de lotus, et fut donc nommé d’après ses origines. Comme Padma est la manifestation magique de la sagesse omnisciente du cœur d’Amitābha, tathāgata de la famille du lotus, le nom « Padma » s’applique également à cette même essence de sagesse. On peut aussi considérer que ce nom s’applique à toute la famille. Un texte dit :

N’est-ce pas le Roi du Lotus, vainqueur du démon cannibale Rāvaṇa[13],
Qui a traversé la dixième bhūmi à l’aide d’une compagne ?

Effectivement, le nom de Padma aurait aussi pu s’appliquer parce qu’il est le seigneur de la jouissance qui a accompli l’union, c’est-à-dire le niveau d’un grand Vajradhara, en s’en remettant au padma de la reine adamantine. Ce nom pourrait aussi s’expliquer en termes de fonction – le fait qu’il soit affranchi du désir –, puisque la manifestation de son rūpakāya illusoire apparaît aux êtres ordinaires comme le reflet de la lune sur l’eau, de la même façon qu’un lotus émerge de la boue sans être entaché par elle. Un nom peut donc être donné pour de nombreuses raisons, ayant trait 1) aux origines, comme dans le cas de « Né d’une Matrice dorée »[14] ; 2) à la famille, comme dans le cas de « Grand Dieu »[15] ; 3) à la jouissance, comme quand on parle des « dégustateurs de fleurs »[16] ; ou 4) à la fonction, comme quand on dit « l’ennemi des lotus »[17]. Dans le cas qui nous intéresse ici, [Guru Rinpoché] a reçu divers noms, comme Grand Maître Padmākara, Padmasambhava et Né-du-Lotus (padma skyes). S’il est bien connu que la plupart de ces noms reflètent le premier type d’appellation[18], les quatre justifications s’appliquent au nom « Padma ».

Quelqu’un pourrait rétorquer, « Si la seule raison pour laquelle on l’appelle Padma, du point de vue de la jouissance et de la fonction, sont les extraordinaires accomplissements qu’il a acquis [tel qu’expliqué plus haut], alors tous les mahāsiddhas de l’Inde et du Tibet seraient aussi appelés Padma. » Ne réfléchissons pas comme des idiots ! Les bodhisattvas comme Gaganagañja et Vajrapāṇi ont une compassion incommensurable, mais ils ont reçu des noms différents en raison des différentes histoires relatant leur vie et leur libération. De même, le noble Avalokiteśvara – le seigneur qui regarde tous les êtres –, a reçu ce nom précisément en raison de cette qualité.

« Alors », se demanderont certains, « pourquoi, dans d’innombrables récits relatant la vie et la libération du Précieux Maître, le nom "Padma" est-il utilisé seulement dans la perspective de ses qualités, et non en termes de jouissance et de fonction ? » Je répondrai qu’il est bien établi qu’on peut condenser toutes les qualités éveillées dans la jouissance et la fonction. Par ailleurs, un nom n’a pas systématiquement à couvrir toutes les qualités. Dans la légende populaire, Viṣṇu a d’autres qualités que celle d’avoir vaincu l’asura Kaṃsa[19] – un événement insignifiant. Pourtant, Viṣṇu est encore appelé Kaṃsārāti, « Ennemi de Kaṃsa ». On pourrait rétorquer, « Mais Viṣṇu a d’autres noms, en dehors que Kaṃsārāti ! » C’est vrai ; et c’est aussi le cas du Grand Maître, qui a d’innombrables noms, comme ceux associés à ses huit manifestations et à ses vingt émanations. Néanmoins, il ne serait guère utile de les lister ici, alors nous nous en tiendrons là.

2. Le supplier [avec siddhi hūṃ] d’exaucer tous nos souhaits, parfaitement et entièrement

2.1. Solliciter l’objet de notre désir : les siddhis

Siddhi signifie « accomplissement ». Il peut être de deux sortes : suprême ou ordinaire. L’accomplissement suprême fait référence à la sagesse ultime, au-delà de l’apprentissage, au kāya unifié, et à des activités éveillées dépassant l’imagination. Selon ce système, toutes les qualités d’abandon et de réalisation des quatre types de vidyādharas sont appelées des accomplissements suprêmes. Bien que le vidyādhara pleinement mûri soit toujours un pratiquant tantrique ordinaire, le Seigneur des Vainqueurs Péma Lédrol[20] accepte qu’on puisse considérer [ce niveau] comme un accomplissement suprême. Donc, ne tenons pas pour acquis que le suprême siddhi ne débute qu’à partir de la réalisation du mahāmudrā mentionnée plus haut.

Les « siddhis ordinaires » font référence aux accomplissements partagés par les pratiquants de la phase de développement, tels que les huit accomplissements et les douze capacités. Grâce à eux, on gagne provisoirement le contrôle sur les multiples disciplines yogiques en lien avec les quatre activités éveillées.

Ainsi, avec les accomplissements ordinaires, un pratiquant est en mesure de prodiguer aux êtres une grande vague de bienfaits, en mettant en œuvre des moyens habiles pour les apprivoiser et en prendre soin. Et, en grimpant les marches des quatre niveaux ultimes des vidyādharas associés aux suprêmes accomplissements, cette personne accèdera promptement et sans effort à l’union au-delà de l’apprentissage – le niveau du souverain Vajradhāra. C’est pourquoi l’on dit ici, « voilà ce que je désire ! ».

2.2. La quintessence de l’invocation : hūṃ

Hūṃ est la syllabe du mantra qui invoque l’accomplissement des trois vajras, symbolisé par les trois lettres, ha, u et . De plus, hūṃ est la quintessence[21] du vajra de l’esprit éveillé : on invoque ainsi la pleine réalisation de l’esprit éveillé en en sollicitant l’accomplissement. La base permettant cet accomplissement est hūṃ, mais le sens symbolique indique l’ainsité qui demeure en tant qu’essence de nos propres trois portes, laquelle, primordialement, n’est autre que la libération indestructible et innée. Ainsi, la principale cause de la sagesse de l’accomplissement suprême et primordial se trouve en nous. La condition coémergente est l’invocation de la compassion de Guru Rinpoché, et le facteur concordant est la base permettant la manifestation de toute existence courante. En bref, hūṃ fait venir les accomplissements et représente la quintessence de la stabilité.

En conclusion, si vous avez été initié dans les insurpassables mantras, ces explications raffermiront votre foi dans les syllabes de ce mantra particulier. Pour ceux dont les facultés sont moindres, cet enseignement n’offrira qu’un aperçu de la signification des syllabes. Si cela est encore au-dessus de vos capacités, je dirais simplement que ce mantra pourrait se traduire ainsi : « Toi qui incarnes les trois vajras (ou toi qui est chargé et plein des merveilleuses et incommensurables qualités des trois vajras), nous t’invoquons, ô Padma, Seigneur des Vainqueurs ! Accorde-nous tes bénédictions ! »

Les trois vajras sont le corps, la parole et l’esprit éveillés. C’est ce qu’indiquent les syllabes Oṃ, āḥ hūṃ vajra. « Chargé de qualités » évoque les marques majeures et mineures de son corps, le timbre et le caractère exhaustif de sa parole, et l’omniscience de son esprit éveillé. Ce « poids » n’a rien à voir avec celui d’une pièce de monnaie : il est lourd comme la Terre ! Qui démontre [pareille merveille] ? Le « guru », appellation qui condense les termes guṇa et ru. « Padma » est facile à comprendre : c’est le nom du Grand Maître. Quant à ce qu’on appelle « accomplissement », il y a beau y en avoir de nombreuses sortes, suprêmes et ordinaires, il faudrait peut-être l’expliquer d’une façon qui interpelle les gens d’aujourd’hui dont l’esprit est aussi étroit que le chas d’une aiguille. On pourrait donc envisager plus de nourriture, plus de yaks, des rendements plus élevés parmi les moutons et les bovins, pas de perte ou de malchance à l’occasion de la pleine lune ou de la nouvelle lune… Hūṃ est une invocation par laquelle on demande l’octroi de ces siddhis ou accomplissements.

Ce serait merveilleux de pouvoir expliquer ce roi de la vastitude des mantras en le mettant en parallèle avec l’entièreté de la voie ; mais pour l’instant, j’ai simplement mis par écrit ce qui me venait à l’esprit, un peu comme on tape dans un sac de tsampa. C’est l’œuvre d’un simplet borné, pas de doute là-dessus.

Vous, moines errants, contents de recevoir des dons,
Et vous, nouveaux lamas aux pensées aussi raffinées
Que la poudre de curcuma utilisée dans les rituels :
Si vous ne comprenez rien au mantra – pas même ce qu’on vient d’en dire –,
Vous pleurerez bien un jour, quand vous considérerez le résultat
D’avoir mangé de la nourriture offerte de bonne foi.

Le jeune Kunzang Jigmé Lhundroub a prononcé ce commentaire devant la statue surgie d’elle-même et ornée d’une guirlande de fleurs, Palmo Jangdrol Ngayab Sarpa. Il nous a semblé bon de condenser le tout. Puisse ce texte favoriser la pleine maîtrise de soi !


| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Samye Translations (Peter Woods et Stefan Mang, révisions par Libby Hogg, 2019).


Bibliographie

Édition tibétaine

'jigs med bstan pa'i nyi ma. “gu ru siddhi'i rnam bshad ku mu ta'i phreng ba.” dans gsung ‘bum, glegs bam ca pa (5), 54b-61a. 'bras ljongs : sgang tog, 2000.

Sources secondaires

Achard, Jean-Luc. 2005. “Le mode d’émergence du Réel — les manifestations de la Base (gzhi snang) selon les conceptions de la Grande Perfection” dans Revue d’études tibétaines, numéro 7 (avril 2005).

Bogin, Benjamin. 2014. “Locating the Copper-Colored Mountain: Buddhist Cosmology, Himalayan Geography, and Maps of Imagined Worlds.” dans Himalaya, the Journal of the Association for Nepal and Himalayan Studies 34, no. 2.

Gyurme Dorje. 1987. “The Guhyagarbhatantra and its XIVth Century Tibetan Commentary, phyogs bcu mun sel.” Thèse de doctorat. University of London.

Jikme Lingpa, Patrul Rinpoche et Getse Mahapandita. 2006. Deity, Mantra and Wisdom. Traduit par le Dharmachakra Translation Committee. Ithaca : Snow Lion Publications.

Nyoshul Khenpo. 2005. A Marvelous Garland of Rare Gems. Traduit par Richard Barron. Junction City : Padma Publishing. (À noter qu’un premier tome est paru en français en 2017 aux éditions Padmakara, sous le titre L’Avènement de la Grande Perfection naturelle : La Merveilleuse Guirlande de joyau des lignées de vidyadaras, Volume 1).

Padmasambhava. 2004. Light of Wisdom Vol. 1. Traduit par Erik Pema Kunsang. Kathmandu : Rangjung Yeshe Publications.

Sánchez, Pedro M.C. 2011. “The Indian Buddhist Dhāraṇī: An Introduction to its History, Meanings and Functions.” Maîtrise en études bouddhistes. University of Sunderland.


Version : 1.1-20230626



  1. Kumuda : une variété de nymphéa ou de nénuphar (parfois considérée comme une sorte de lotus). Celle dont on parle ici est blanche et ne fleurit que dans l’obscurité de la nuit.  ↩

  2. La roue de jouissance (longs spyod ‘khor lo) est le nom du chakra qu’on estime se trouver dans la gorge.  ↩

  3. Le Grand Yogatantra secret : La Pointe du Vajra (Tōh. 480, vajraśekharamahāguhyayogatantra, gsang ba rnal 'byor chen po'i rgyud rdo rje rtse mo).  ↩

  4. Le « Filet magique » (sgyu ‘phrul) fait ici référence au célèbre Guhyagarbha-tantra (rgyud gsang ba'i snying po). Pour une traduction du passage en question et un commentaire de Longchenpa (klong chen pa, 1308–1364), voir Gyurme Dorje, 1987, pages 544 et suivantes.  ↩

  5. C’est-à-dire la parole.  ↩

  6. « Jamais dissociée » : traduction incertaine. La version anglaise dit « Ever-pristine empty-awareness is never not composed within the unborn nature ».  ↩

  7. Le Sūtra de la rencontre du père et du fils (Tōh. 60, pitāputrasamāgamasūtra, yab sras mjal ba'i mdo).  ↩

  8. Saraha serait l’auteur de quatre ouvrages (Tōh. 1652, 1655, 1656 et 1657) sur le Buddhakapāla-tantra (Tōh. 424, sangs rgyas thod pa'i rgyud).  ↩

  9. Pour une description plus détaillée de cet épisode et d’autres événements de la vie de Padmākara auxquels on fait ici allusion, voir Jamgön Kongtrul, The Life and Liberation of Padmākara, the Second Buddha.  ↩

  10. Cette citation vient du chapitre 5 du Lé’ou Dünma : La Prière sollicitée par Nanam Dordjé Düdjom.  ↩

  11. Contrairement à ce qu’on dit ici, dans la plupart des textes le vidyādhara du Mahāmudrā est associé à la voie de la méditation (sgom lam). Pour une explication détaillée des niveaux de vidyādhara et de leurs correspondances avec la progression du Mahāyāna, voir Jigmé Lingpa, 2004, pages 56–67, et Padmasambhava, 2004, pages 179–180.  ↩

  12. Ces six points, attributs ou dharmas spéciaux (khyad chos drug) décrivent le processus de la réalisation au sein de la base, selon les enseignements de l’Atiyoga. Ce sont : 1) le jaillissement de la présence éveillée à partir de la base ; 2) la perception de sa propre manifestation ; 3) sa distinction de tout état de confusion ; 4) la libération au sein de cette distinction ; 5) le fait que sa présence ne dépende pas de conditions externes ; 6) le repos dans sa propre lucidité naturelle. Voir Nyoshul Khenpo (2005) : note 104, et Jean-Luc Achard, 2005, pages 84–85 (http://www.digitalhimalaya.com/collections/journals/ret/).  ↩

  13. Benjamin Bogin explique que Jigmé Lingpa, par exemple, a proposé un rapprochement entre, d’une part, le roi rākṣasa Rāvaṇa, adversaire de Rāma dans le Rāmāyaṇa, célèbre épopée de Vālmīki, et d’autre part, le roi rākṣasa Tötrengtsal, que Padmākara a vaincu à son arrivée à la Montagne cuivrée (Bogin, 2014 : p. 12).  ↩

  14. Une épithète de Brahmā, dont on dit qu’il est né d’un œuf d’or.  ↩

  15. Mahādeva, en sanskrit. Une épithète de Śiva.  ↩

  16. Terme poétique pour parler d’une abeille.  ↩

  17. Allusion poétique à la lune.  ↩

  18. C’est-à-dire, en raison de ses origines.  ↩

  19. Dans la mythologie hindoue, Kaṃsa était un démon asura qui fut tué par Viṣṇu/Kṛṣṇa.  ↩

  20. Péma Lédrol (padma las grol) est un des noms de Longchenpa.  ↩

  21. « Quintessence » (hṛdaya, snying po) fait ici référence à une incantation (dhāraṇī, gzungs) que l’on considère incarner l’essence d’une déité. Cela représente une méthode essentielle pour atteindre un résultat surnaturel. Il peut s’agir d’une unique syllabe, comme c’est ici le cas avec hūṃ. Pour plus de détails sur les hṛdayas, voir Sánchez, 2011 : p. 37.  ↩

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