Introduction à Kurukullā
Introduction à Kurukullā
par Stefan Mang
Kurukullā (Tib. rig byed ma) est une déité de premier plan dans le bouddhisme Vajrayāna, étroitement associée à la famille du Lotus du Bouddha Amitābha. Elle personnifie le vaśīkaraṇa – l’activité consistant à magnétiser ou à enchanter –, l’une des quatre formes d’activité éveillée dans le bouddhisme tantrique. Kurukullā est révérée à titre de ḍākinī pleinement éveillée, et on l’invoque pour son pouvoir d’attraction et d’influence et sa capacité à harmoniser les êtres, les circonstances et même l’esprit du pratiquant avec le Dharma. Elle symbolise l’inséparabilité de la félicité et de la vacuité (mahāsukha-śūnyatā), et ses pratiques ne font pas seulement office de rites protecteurs ou mondains, mais constituent également de profondes méthodes de réalisation spirituelle.
Sur le plan iconographique, Kurukullā est représentée comme une ḍākinī d’un rouge éclatant, ornée de fleurs et de bijoux en os, et dansant dans une posture dynamique. Dans ses formes à deux, quatre, six ou huit bras, elle tient un arc et une flèche faits de fleurs, un nœud coulant et un aiguillon – instruments qui représentent son pouvoir de lier, d’envoûter et d’attirer les êtres sur la voie. Une couronne portant l’image d’Amitābha témoigne de son appartenance à la famille du Lotus. Si sa forme rouge – associée à la magnétisation et à la transformation du désir – est la plus courante, on trouve aussi des manifestations blanches et paisibles associées à la guérison et à la longévité[1].
Considérée comme une forme de la déesse Tārā – elle-même une émanation du bodhisattva de la compassion Avalokiteśvara –, Kurukullā incarne la compassion universelle qui s’exprime par une sagesse irrésistible et un attrait au pouvoir transformateur. Sa présence dans les cycles tantriques comme le Tantra d’Hévajra et le Sādhanamālā montre qu’elle a très tôt eu une place de choix dans l’ésotérisme bouddhiste indien. Le Manuel de pratique de Kurukullā (Toh. 437, Kurukullākalpa), conservé en sanskrit et en tibétain, est le texte unique le plus complet qui lui soit consacré ; il couvre une vaste gamme de méthodes rituelles, y compris des sādhana, des offrandes de feu, et des rites médicinaux ou magiques. On y découvre un mélange de visées apotropaïques et libératrices – autrement dit, ces méthodes visent à protéger les êtres tout en les rapprochant de l’éveil[2].
Les origines historiques de Kurukullā semblent indiquer une synthèse de traditions tantriques bouddhistes et non-bouddhistes. Des chercheurs ont tenté des rapprochements avec une montagne appelée Kurukullā au Gujarat et relevé des ressemblances avec des déesses hindoues, comme Lalitā dans la tradition Śrīvidyā[3]. Toutefois, s’il y a peut-être des chevauchements avec de telles figures pour ce qui est de leurs fonctions et de leur iconographie, Kurukullā n’est pas que le fruit d’une simple adoption. Elle émerge plutôt comme une personnification distinctement bouddhiste de la sagesse magnétique – une manifestation modelée par une culture tantrique commune, mais intégrée de façon unique aux rituels, à la cosmologie et à la sotériologie bouddhistes.
Kurukullā est donc révérée comme une déité de méditation à part entière – un yidam – qui canalise l’énergie rouge et passionnée de l’activité éveillée. Sa pratique attire les êtres non par la coercition ou la peur, mais par l’irrésistible éclat de la sagesse et de la compassion. Kurukullā se démarque ainsi comme l’une des plus éloquentes expressions du principe tantrique selon lequel le désir lui-même, quand il est compris et transformé habilement, devient une voie directe vers la libération[4].
| Introduction traduite en français, à partir de l’anglais, par Vincent Thibault (2025).
Pour en savoir plus
Bhattacharyya, Benoytosh, ed. The Sādhanamālā. 2nd ed. Baroda: Oriental Institute, 1968.
Buddha Śākyamuni. “The Practice Manual of Noble Tārā Kurukullā.” Translated by Dharmachakra Translation Committee. 84000: Translating the Words of the Buddha, 2024. https://84000.co/translation/toh437.
Mehta, R. N. “Kurukullā, Tārā and Vajreśī in Śrīpura.” In Tantric Buddhism: Centennial Tribute to Dr. Benoytosh Bhattacharyya, edited by N. N. Bhattacharyya. Reprint edition. New Delhi: Manohar, 2005.
Padmasambhava. Dakini Activity: The Dynamic Play of Awakening. Trans. Erik Pema Kunsang and Marcia Schmidt. Rangjung Yeshe Publications, 2018.
Pandey, Janardan Shastri, ed. Kurukullākalpaḥ. Rare Buddhist Texts Series, 24. Sarnath, Varanasi: Central Institute of Higher Tibetan Studies, 2001.
Shaw, Miranda. Buddhist Goddesses of India. Princeton: Princeton University Press, 2006.
Slouber, Michael. “Gāruḍa Medicine: A History of Snakebite and Religious Healing in South Asia.” PhD dissertation. University of California, Berkeley, 2012.
Snellgrove, David. The Hevajra Tantra: A Critical Study. London and New York: Oxford University Press, 1959.
Version : 1.0-20251031
