Les quatre grands arguments logiques de la Voie médiane

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Mipham Rinpoche

Nāgārjuna

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Les quatre grands arguments logiques de la Voie médiane

par Mipham Rinpoché et Khenpo Nüden

Voici les quatre grands arguments logiques de la Voie médiane :

  1. L’analyse de la cause : la méthode des éclats de diamant
  2. L’analyse du résultat : la réfutation des résultats existants ou inexistants
  3. L’analyse de l’identité essentielle : « ni singulier, ni pluriel »
  4. L’analyse exhaustive : la grande interdépendance

 1. L’analyse de la cause : la méthode des éclats de diamant

i. La réfutation de la production à partir des quatre extrêmes

La production à partir de soi-même

À un niveau purement conventionnel, il est vrai qu’un effet est produit par une cause ; mais si l’on analyse les choses au niveau ultime, on ne trouve point de production. S’il existait une production qui puisse résister à l’analyse logique, elle devrait nécessairement relever de l’un ou l’autre de ces quatre extrêmes : un phénomène serait produit soit à partir de lui-même, soit à partir d’autre chose, soit des deux à la fois, soit d’aucun des deux (ou sans cause). Mais ces scénarios sont illogiques.

Comme on le lit dans Les stances fondamentales de la Voie médiane :

Que ce soit d’elle-même, d’autre chose,
Des deux à la fois, ou de ni l’une ni l’autre,
Il ne peut jamais y avoir de production
Pour quelque entité que ce soit[1].

Qu’est-ce à dire ? Qu’une chose se produise elle-même est illogique : une fois qu’une entité existe avec son identité particulière, il lui est tout à fait inutile de se produire à nouveau. L’enfant ne naît qu’une fois. On pourrait aussi donner l’exemple d’une graine : si une graine était produite à nouveau, elle le serait encore et encore, à tout jamais. Les autres stades – la pousse, la tige et ainsi de suite – n’auraient jamais l’occasion de se développer.

Les Saṃkhyas, qui soutiennent la production à partir de soi, verraient les choses ainsi : de la même façon que la nature unique de l’argile peut servir à créer des vases et toutes sortes de choses différentes, la graine et ce qui en est issu partageraient une seule et une unique nature, la graine abandonnant cette manifestation quand elle se transforme et se manifeste sous l’aspect d’une pousse. Mais si l’on affirme que les différents stades (tels que ceux de la graine et de la pousse) ne font qu’un – malgré le fait qu’ils n’existent pas en même temps et qu’ils se distinguent par leur couleur, leur forme, et cætera –, cette affirmation peut s’invalider par voie de raisonnement conséquent : il s’ensuivrait que le feu et l’eau, ou la vertu et le mal, devraient aussi ne faire qu’un.

Vous vous dites peut-être que la graine et la pousse n’équivalent pas au feu et à l’eau, puisque graine et pousse appartiennent à un même continuum. Cependant, un « continuum » n’est qu’une attribution basée sur la ressemblance ininterrompue de phénomènes passagers ; cela n’a pas d’existence réelle.

Comme le dit L’introduction à la Voie médiane :

Suppose-t-on que ce qui a déjà été produit est re-produit ?
Dans ce cas, on ne verra jamais de pousse, et ainsi de suite :
La semence se re-produirait elle-même jusqu’à la fin des temps.
Forme, couleur, saveur, capacité, mûrissement… Pour vous,
Il n’y aurait nulle différence entre la graine en tant que cause active et la pousse.

Imaginons une telle pousse : si elle était identique à la graine,
Elle serait, comme elle, invisible [puisque la pousse étant, on ne voit plus la graine] ;
Ou à l’inverse, cependant que la pousse existe,
On verrait encore la graine. Voilà qui est indéfendable[2].

Et :

C’est uniquement quand la cause a disparu qu’on voit l’effet.
Même le grand public ne pense pas que cause et effet sont identiques[3].

Ce n’est pas seulement les traités qui le disent : l’expérience directe des êtres ordinaires montre bien que l’effet suit la disparition de la cause. Autrement dit, même les gens normaux n’accepteraient pas qu’on assimile la cause à l’effet. L’auto-production n’existe donc pas à aucun des deux niveaux de vérité.

La production à partir d’un autre

Certains diront peut-être : « Je suis d’accord, l’auto-production est illogique. J’en conclus donc qu’à l’image d’un enfant né de sa mère, ou d’une pousse produite à partir d’une graine, il ne peut y avoir de production qu’à partir d’une chose “autre”. » Or, s’il est vrai qu’on considère typiquement la cause et l’effet comme étant « autres », il n’y a pas là non plus de production innée pouvant être prouvée de façon logique.

Si la cause s’avérait intrinsèquement différente de l’effet, ce dernier n’aurait pas besoin d’en dépendre, et cause et effet seraient égaux en termes de capacités. Quand une chose existe, il n’est pas nécessaire qu’elle soit produite à partir d’autre chose, de la même façon que deux personnes déjà nées ne dépendent pas l’une de l’autre.

Si une chose était produite par une chose [véritablement] autre, il s’ensuivrait que tout pourrait produire n’importe quoi : de la noirceur pourrait émaner d’une lampe à beurre, par exemple, les deux étant « autres ».

Comme il est dit [dans L’introduction à la Voie médiane] :

Si les choses pouvaient apparaître sur la base de choses « autres »,
Les flammes pourraient répandre l’obscurité[4].

Et :

Que la cause et l’effet soient radicalement « autres »,
Voilà qui n’est jamais possible.
Si cause et effet étaient totalement autres,
Les causes ne seraient pas différentes des non-causes.

Alors, peut-être direz-vous : « [Je vous accorde que] dans le cas de deux choses vraiment différentes, comme la lumière et l’obscurité, cause et effet seraient imprévisibles. Mais les graines, les pousses et ainsi de suite procèdent d’une relation causale active particulière, une relation d’influenceur-influencé, selon laquelle la cause précédente produit un effet subséquent. Il n’est pas question que les choses soient produites par n’importe quoi d’autre, comme dans l’exemple de l’obscurité et des flammes. »

Référons-nous alors à L’introduction à la Voie médiane :

Vous ne reconnaissez pas à l’orge, au safran, au kimshuka, etc.
La capacité de produire une pousse de riz
Parce qu’ils ne sont pas similaires et ne participent pas au même continuum.
Il en va de même pour la graine de riz qui est, elle aussi, « autre »[5].

De la même façon que l’orge, les plantes florales, les cailloux ne peuvent être inclus dans le même continuum que la cause d’une pousse de riz ni être considérés comme étant « d’un même type », la graine d’orge et sa pousse – si on établit leur caractère véritablement « autre » dans la perspective de l’analyse ultime – ne peuvent ultimement appartenir au même continuum.

Cependant, même si cela n’enlève rien à l’ultime conclusion qu’il est totalement inacceptable que ce qui produit une chose et la chose en soit relèvent d’un même continuum, il est acceptable, à un niveau conventionnel, de considérer qu’un producteur fasse partie du même continuum, sachant qu’il est ultimement irréfutable que les choses ne sont pas « autres » de façon inhérente, mais qu’elles se manifestent en interdépendance.

De plus, puisqu’à tout moment, soit la graine soit la pousse s’avère inexistante (n’étant toujours pas produite ou ayant déjà cessé), comment pourrait-on vraiment parler d’influenceur et d’influencé ? Ce ne sont là que des désignations.

« Bien que la graine et la pousse n’existent pas simultanément, il n’y a pas de problème puisqu’elles se produisent et cessent comme montent et descendent les poids d’une balance. » Si c’est là ce que vous affirmez, alors pendant que la graine cesse, elle se rapproche de la destruction, et bien qu’elle existe dans le présent, elle ne demeurera pas l’instant d’après. Et la pousse, en plein processus, se rapproche de la production, si bien qu’elle n’existe pas en même temps que la graine. Il ne peut donc jamais y avoir de contact entre les deux, et l’exemple des deux poids d’une balance est dénué de sens.

Comme le dit L’introduction à la Voie médiane :

Si la conscience visuelle existe déjà en étant autre que ses propres stimuli
Tels que l’œil, [l’objet] et la perception co-émergente,
Pourquoi aurait-elle besoin d’être produite à nouveau ?
Si elle n’existe pas, alors les failles de cette théorie ont déjà été démontrées[6].

Si la conscience de l’œil existait déjà comme quelque chose d’autre que ses propres producteurs tels que la faculté de l’œil, l’objet visuel et ainsi de suite, de même que ses facteurs mentaux concomitants (comme la sensation et la perception), alors sa production n’aurait aucune utilité. Et si elle n’existait pas déjà, alors on ne pourrait pas dire qu’ils sont « autres ».

Par conséquent, l’esprit, les états mentaux et les quatre éléments qui existent simultanément sont simplement désignés comme étant des causes et effets ; mais si l’esprit, les états mentaux et ainsi de suite étaient produits de façon inhérente comme étant véritablement « autres », les problèmes déjà évoqués feraient surface.

Voici ce qu’Ācārya Nāgārjuna disait à propos de la production d’une pousse à partir d’une graine :

La pousse n’est pas produite
À partir d’une graine détruite ou intacte ;
Vous avez donc enseigné que toute production
S’apparente à une création magique.

Il en va donc ainsi : les apparences [issues] de la coproduction conditionnée ne peuvent résister à l’analyse logique, et quand on poursuit les recherches à l’aide de raisonnements examinant l’ultime, on ne parvient pas même à trouver la moindre parcelle de « production ». Pourtant, en l’absence d’analyse, la pousse semble être produite par la graine, à l’instar d’apparitions oniriques. C’est là simplement la façon dont on aborde les conventions.

De même, à un niveau purement conventionnel, on dit que le continuum de la similarité demeure et cesse ; mais ultimement, puisqu’on ne peut trouver de production au début, il ne peut y avoir de véritable cessation à la fin, ni de maintien dans l’intervalle. Les choses sont donc dépourvues de production, de durée et de cessation.

Par conséquent, les apparences – quand on les considère dans la perspective de l’unité non paradoxale des deux vérités – s’apparentent à une illusion, à un rêve, à une cité de gandharvas, au reflet de la lune sur l’eau et aux autres métaphores.

Quand on analyse les choses ainsi, à l’aide de raisonnements ultimes, on voit que puisque tous les phénomènes sont dépourvus d’existence inhérente – et c’est là un point crucial –, les graines, pousses et ainsi de suite ne peuvent avoir une quelconque identité essentielle (selon laquelle ils seraient totalement identiques, « autres », ou peu importe).

D’autres (qui, au sein même de la tradition bouddhiste, acceptent des entités réelles) pourraient dire : « Les trois autres types de production – à partir de soi, etc. –, sont réfutables, mais si l’on n’accepte pas la production à partir d’un autre, ne sommes-nous pas en train de contredire les conventions du monde, comme le fait que les pousses naissent des graines et le beurre, de la crème ? » Il n’y a pas de contradiction. En réalité, à force de raisonnement, on n’observe jamais vraiment de production, et ce, non seulement à un niveau ultime, mais aussi sur le plan conventionnel. Si l’on pouvait identifier et prouver conventionnellement la production, il s’ensuivrait que des phénomènes avérés sur le plan conventionnel – comme les agrégats et les éléments – seraient invulnérables à l’analyse ultime. Cela signifierait également que la production ultime ou réellement existante ne serait pas réfutée. Et il s’ensuivrait que l’équilibre méditatif des nobles deviendrait une cause détruisant les phénomènes conventionnels qui existaient précédemment, ce qui mènerait à l’extrême consistant à déprécier les phénomènes existants en les désignant comme étant inexistants. Dans tous les cas, ce qui est affirmé s’avère impossible.

En bref, du point de vue de l’analyse ultime, on ne peut relever le moindre phénomène qui existerait véritablement ; cependant, si l’on se penche sur les conventions et que l’on raisonne dans cette optique, on observe bel et bien des phénomènes. Le fait que ces deux conclusions soient cohérentes et qu’elles constituent ensemble une unique réalité, c’est ce qu’affirment les adeptes de la Voie médiane au-delà des extrêmes.

Pourtant, ceux qui parlent d’entités réelles ne sont pas d’accord : ils considèrent que la vacuité et les apparences produites en dépendance sont mutuellement exclusives. Ils croient que ce qui est réfuté par l’analyse ultime doit être complètement inexistant même au niveau conventionnel, comme les cornes d’un lièvre. Ou encore, que ce qui existe conventionnellement (comme des vases ou des piliers) ne peut jamais être réfuté par voie de raisonnement ultime. Ils conçoivent un genre d’objet de négation indépendant, séparé des phénomènes conventionnels qui servent de base à la négation, et ils considèrent que la vacuité – qui, pour eux, se résume à la réfutation d’un phénomène séparé appelé « existence véritable » - et les apparences, c’est-à-dire la base de cette réfutation, sont directement opposées, comme le sont la totale inexistence des cornes du lièvre et la véritable existence des cornes d’un bovidé. Affirmer qu’il s’agit là d’une unité, en « liant » mentalement ces deux [notions] à une entité telle qu’un vase équivaut à prétendre que la vacuité est une négation affirmative, et au bout du compte, cela ne dépasse même pas les vues des tenants des entités véritables. Les grands logiciens du passé ont très bien expliqué ce point.

La production à partir de l’un et l’autre

Les Saṃkhyas, qui parlent d’une substance primitive et d’un dieu tout-puissant, avancent que les phénomènes seraient produits à partir d’eux-mêmes et d’autre chose. Mais cette théorie cumule les failles des deux positions précédentes. Comme il est dit dans L’introduction à la Voie médiane :

Une production à partir de l’un et l’autre serait fondamentalement insensée,
Puisqu’elle impliquerait les problèmes qu’on a déjà expliqués[7].

Cette position est donc inacceptable du point de vue de chacune des deux vérités.

La production sans cause

Nous en venons à l’idée selon laquelle les phénomènes ne seraient pas produits à partir d’eux-mêmes, ni à partir d’autre chose, ni à partir des deux à la fois, mais qu’il pourrait y avoir une production en l’absence de toute cause. Voici ce qu’en dit L’introduction à la Voie médiane :

Si ce monde était dépourvu de toute cause, on ne pourrait le percevoir,
À l’instar du parfum et de la couleur d’un lotus bleu poussant dans le ciel…
Or, on fait bien l’expérience du monde dans son immense variété.
Donc, sachez que tout comme l’esprit, il relève de causes[8].

Nous avons réfuté cette position de façon plus détaillée quand nous parlions des écoles philosophiques[9]. Nous y avions démontré qu’elle impliquait soit l’existence permanente, soit la non-existence.

De cette façon, en analysant correctement les choses à l’aide d’arguments logiques qui réfutent la production à partir des quatre extrêmes (à partir de soi, d’autre chose, de l’un et l’autre, et de ni l’un ni l’autre), on ne parvient pas à identifier le moindre phénomène qui soit d’abord produit, et par conséquent, il n’en est aucun qui vient finalement à cesser ou qui perdure dans l’intervalle. Ainsi, les élaborations conceptuelles apparentées aux huit extrêmes[10] (comme l’idée d’une production ultime, etc.) sont pacifiées concernant ces apparences incessantes et purement relatives. Comprenons qu’il s’agit là de l’union des apparences et de la vacuité. Cela est enseigné en détail dans L’introduction à la Voie médiane.

ii. La réfutation de la production à partir de quatre possibilités

[De plus], l’analyse démontre qu’il ne peut véritablement y avoir de production dans aucun des quatre scénarios suivant :

  1. Plusieurs causes produisant un seul résultat
  2. Plusieurs causes produisant plusieurs résultats
  3. Une cause unique produisant plusieurs résultats
  4. Une cause unique produisant un seul résultat

Vous pensez peut-être qu’un résultat donné doit nécessairement relever de plusieurs causes distinctes. Ainsi, estimez-vous, un unique moment de conscience visuelle est-il produit par de nombreuses causes : l’objet aperçu, la faculté optique intacte, l’attention mentale précédant immédiatement [l’instant de conscience en question], l’absence d’obstruction, l’espace…

Dans ce cas, puisque plusieurs causes distinctes ne produisent qu’un seul résultat, l’objet, la faculté et ainsi de suite produisent la conscience visuelle ; mais il doit s’ensuivre qu’il ne peut y avoir d’autre cause pour sa singularité. De même, tant qu’une cause unique est incapable de produire un effet unique, il n’y a pas de cause de singularité ou de pluralité, d’unité ou de multiplicité. Et comme il n’est aucun phénomène connaissable qui ne tombe dans l’une ou l’autre catégorie (singulier ou multiple), tout ce qui est singulier ou pluriel doit soit le rester à tout jamais, soit ne jamais voir le jour. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas de cause de singularité ou de pluralité.

Vous vous dites peut-être, alors, que plusieurs causes produisent plusieurs effets, l’intention (immédiate) de regarder causant la conscience visuelle de nature mentale, la faculté oculaire produisant la perception de l’objet, l’objet apparent (un vase, par exemple) suscitant des caractéristiques mentales particulières… Si c’était le cas, la chose cumulerait les différents aspects énoncés : elle serait de nature mentale, etc. Il s’ensuivrait que la conscience de l’œil serait multiple, aussi nombreuse que le sont les différents aspects en question. Si l’on part de ce principe, alors la conscience visuelle résultante ne serait pas produite par ces causes (l’intention, etc.). Les aspects particuliers (la nature mentale, le fait d’avoir les différentes qualités de l’objet, etc.) sont produits individuellement, mais celui qui possède ces aspects - la conscience visuelle elle-même - n’a pas de cause et n’est par conséquent pas produit par quoi que ce soit.

Vous pourriez rétorquer que la perception de l’objet et les autres aspects ne sont pas séparés, dans la mesure où ils ne sont rien d’autre que la conscience. Mais alors, il serait insensé de dire que « plusieurs causes produisent plusieurs effets ». Il faudrait plutôt dire « plusieurs causes produisent un seul effet », et les problèmes que pose une telle thèse ont été expliqués plus haut (c’est-à-dire que, puisque l’un et le multiple ne peuvent être produits, les choses devraient être permanentes dans leur existence ou leur inexistence).

Peut-être croyez-vous qu’il n’y a pas de problème, parce que les aspects en question et le possesseur des aspects ont une même identité essentielle, et qu’ils sont uniquement désignés comme étant séparés en fonction de distinctions conceptuelles. Dans ce cas, les causes telles que l’attention rempliraient leurs fonctions à l’égard des distinctions conceptuelles, les phénomènes imputés tels que la nature mentale et ainsi de suite ; mais la conscience existant substantiellement ne serait pas elle-même produite par quelque cause que ce soit ; la conscience serait donc sans cause.

Si vous affirmez que l’identité essentielle de l’effet est singulière, mais que ses aspects sont multiples, il y a là aussi une faille, les qualités étant séparées de ce qui les possède.

D’aucuns pourraient penser qu’une fleur bleue, par exemple, est une cause unique qui produit plusieurs effets, tels que sa propre similarité ultérieure et la conscience visuelle des êtres [qui la voient]. La question est la suivante : est-ce que la cause – la fleur – effectue cette production exclusivement par elle-même, sans s’en remettre à d’autres facteurs, ou est-ce que cela se fait avec le concours d’autres facteurs, comme les facultés ? Dans le premier cas, elle ne pourrait produire de pluralité, et cela impliquerait une production sans cause. De même, puisqu’une cause unique ne peut pas non plus produire un seul effet, il s’ensuit que le singulier et le pluriel doivent l’un et l’autre être dépourvus de causes, et là encore on se retrouve avec le problème d’une production spontanée, dénuée de causes, comme on l’a expliqué plus haut.

Si l’objet, [une fleur] bleue, par exemple, produit la conscience visuelle en dépendant d’autres causes, telles que l’apparence, la faculté sensorielle, l’attention et ainsi de suite, et que vous dites qu’elle a également été produite par d’autres causes, alors le résultat cessera d’être singulier : il possédera diverses caractéristiques ou qualités, elles-mêmes produites par les différentes causes (comme l’objet, la faculté, l’attention).

Enfin, quelqu’un pourrait avancer qu’une cause unique produit uniquement son propre résultat, également singulier. Si c’était le cas, alors puisqu’une cause telle que la faculté oculaire pourrait uniquement produire sa propre « ressemblance » ultérieure, et ne saurait jamais avoir pour fonction de produire quoi que ce soit d’autre (telle qu’une conscience visuelle percevant directement un objet), il n’y aurait aucune cause permettant les consciences visuelles ou auditives des êtres : ces effets seraient impossibles, avec pour conséquence absurde que tout le monde serait sourd et aveugle.

Comme le dit le texte intitulé Les deux vérités de la Voie médiane [de Jñānagarbha] :

Plusieurs choses n’en produisent pas qu’une seule,
Pas plus que plusieurs choses créent une multiplicité.
Une chose unique n’engendre pas une multitude,
Pas plus qu’une chose unique n’en crée une seule autre[11].

Cette citation concorde avec ce genre de raisonnement.

Par ailleurs, on pourrait offrir d’autres arguments à ceux qui croient que des causes multiples (l’apparence, la faculté, l’attention…) engendrent un résultat unique (la cognition visuelle). [Par exemple], même si l’on accepte que la conscience oculaire résultante soit singulière et ne possède pas de multiples qualités, il est impossible qu’un quelconque phénomène connaissable soit véritablement singulier, comme dans le cas d’une conscience visuelle dissociée des états mentaux qui l’accompagnent, comme les facteurs mentaux omniprésents.

À ceux qui pensent que plusieurs causes produisent plusieurs effets, on répondra qu’étant donné qu’il est impossible que des causes multiples produisent un effet singulier, il va sans dire que c’est aussi le cas d’une multitude d’effets. Si l’on ne peut établir un seul phénomène, on ne peut guère en établir une multitude : quand même le singulier ne peut être envisagé, on ne peut pas plus en envisager « plusieurs »[12].

La thèse voulant qu’une seule cause produise de nombreux effets est également contestable, parce qu’elle présuppose une cause unique qui ne peut être divisée en parties, ce qui est impossible. On voit bien qu’une cause unique (une graine, par exemple) serait incapable de produire son effet (la pousse) sans dépendre d’autres conditions (comme la terre, l’eau, la chaleur, le temps…).

Il est également inacceptable qu’une cause unique engendre un seul et unique effet, ce que contredit notre expérience directe : on constate clairement la production successive d’une gamme d’effets (comme la pousse, la fleur, le fruit, etc.) à partir d’une variété de causes et conditions (graine, eau, engrais, chaleur, humidité, etc.).

Ainsi, quand on examine les choses à fond, on ne peut pas du tout établir de phénomène qui serait véritablement singulier, donc dépourvu d’une pluralité de qualités ou caractéristiques, et ce, qu’il s’agisse d’une entité causale ou résultante. Or, en l’absence de phénomènes singuliers, on doit conclure à l’inexistence de phénomènes pluriels, lesquels seraient nécessairement composés de [phénomènes] singuliers.

Néanmoins, bien qu’une pousse soit constituée de plusieurs parties (sa couleur, sa forme, etc.), on désigne tout de même l’ensemble comme s’il s’agissait d’une chose singulière (« une pousse »), en nous basant notamment sur leur similarité typologique. Et dans le cas d’un phénomène « unique » (une particule, par exemple), lorsqu’on en distingue les caractéristiques (substance, direction, etc.), on le désigne comme étant multiple. Mais c’est simplement par le pouvoir des origines dépendantes – ou de la « définition dépendante » - qu’on les désigne conventionnellement comme des « causes » et « effets ». Quand on analyse les choses avec un raisonnement ultime, on ne trouve rien qui puisse être établi selon l’une ou l’autre des quatre possibilités (singulier, multiple, etc.). Ainsi, puisque ces entités conventionnelles ne résistent pas à l’analyse, on devrait comprendre qu’elles sont comme les apparitions lors d’un rêve.

Ce raisonnement est parfois appelé « l’analyse à la fois de la cause et de l’effet réfutant la production à partir des quatre possibilités ». On pourrait y voir un cinquième grand argument logique, et il ne serait pas vraiment contradictoire de l’expliquer ainsi. Mais il nous semble raisonnable de l’inclure dans la catégorie de l’analyse de la cause, et c’est pourquoi nous disons qu’il y a au total quatre grands arguments logiques.

Il y a encore d’autres arguments qui se penchent sur la cause, l’effet et l’identité. Par exemple, il y en a un qui table sur la division tripartite du temps – passé, présent, futur. Le résultat qui fut produit dans le passé s’est déjà manifesté et a maintenant cessé, et il n’est donc pas produit ; le résultat du futur n’a pas encore vu le jour dans le présent et n’est donc pas produit ; enfin, le résultat présent est déjà établi sur la base de sa propre identité et il serait donc insensé qu’il soit produit de nouveau.

 2. L’analyse du résultat : la réfutation des résultats existants et inexistants

Penchons-nous d’abord sur l’explication principale, après quoi viendra une section visant à dissiper les doutes.

i. L’explication proprement dite

En ce qui concerne l’effet produit, on peut se demander s’il s’agit d’un effet existant, d’un effet inexistant, d’un effet qui soit à la fois l’un et l’autre, ou ni l’un ni l’autre. À ce sujet, L’introduction à la Voie médiane dit :

Si la chose existe, en quoi sa production est-elle nécessaire ?
Si elle n’existe pas, que peut-on y faire ? De même,
Si elle est à la fois [existante et inexistante], que peut-on y faire ?
Et si elle n’est ni l’une, ni l’autre, que peut-on bien y faire ?

Il n’est pas raisonnable de penser que le résultat à produire est quelque chose d’existant qui se développe. Pourquoi ? Si la chose existe, elle doit exister en ayant déjà établi sa propre identité (en tant que pousse ou autre) ; et existant déjà, il ne serait pas nécessaire qu’elle soit à nouveau produite. C’est comme un grain d’orge qui, ayant mûri une fois, n’a pas besoin de mûrir à nouveau. Si une chose existant déjà avait toujours besoin d’être produite, il y aurait un problème de production continuelle, ad infinitum.

« Alors », diront certains, « c’est une chose inexistante qui est produite. » Mais dans ce cas, il serait impossible de la produire. Par exemple, quelqu’un aurait beau s’échiner à réunir des centaines de causes et conditions, il n’arriverait jamais à produire les cornes inexistantes d’un lièvre.

Peut-être pensez-vous que l’effet – disons, une pousse – était précédemment inexistant, mais qu’il est nouvellement créé en tant que phénomène existant par des causes (la graine, etc.). Mais ce n’est pas le cas. Puisque « existant » et « inexistant » sont mutuellement exclusifs, ils ne peuvent jamais se combiner sur la base d’une seule entité. En termes d’entités proprement dites, il n’y a pas le moindre phénomène qui fut jadis inexistant avant d’être changé en quelque chose d’existant. Par exemple, causes et conditions ne sauraient transformer l’espace inconditionné pour lui donner l’identité d’un phénomène conditionné existant.

Donc, à un niveau simplement conventionnel, les effets apparaissent en fonction de causes. Auparavant, avant que soient rassemblées leurs causes et conditions, ils n’apparaissaient pas ; et maintenant, une fois ces causes et conditions réunies, ils apparaissent. L’esprit établit un lien entre ces deux phases et affirme, de façon purement conceptuelle, « ça n’existait pas auparavant, mais voilà que ça se produit ! »

De même, on compare mentalement des situations précédentes et subséquentes, en lien avec un phénomène donné, et l’on pense, « cela existait, puis cela a cessé d’exister. »

Quoi qu’il en soit, les phénomènes qui sont des entités conventionnelles apparaissent simplement par la force de la coproduction dépendante, et en réalité, il n’y a pas le moindre phénomène existant qui se transforme en phénomènes inexistant, ni l’inverse.

Le même principe s’applique aux formations conditionnées qui voient le jour et en viennent à cesser ; aux continua de « similarité typologique » qui se poursuivent et s’interrompent ; à la perception d’un soi individuel ou phénoménal existant et à la perception de l’inexistence du soi. L’explication est similaire à celle qu’on a donnée dans le cas des phénomènes existants et inexistants. Il s’agit dans tous les cas de simples apparences au niveau relatif, conventionnel, qui sont ultimement vides d’identité essentielle. Au niveau de l’authentique nature des choses, on n’observe aucune caractéristique telle que la transformation d’une chose existante en chose inexistante ou l’inverse ; ni d’allée, de venue, de production, de cessation, d’augmentation ou de diminution.

ii. L’élimination des doutes

D’aucuns se demanderont comment peut-on soutenir la production de résultats, sachant qu’il ne se produit aucun effet existant ou inexistant et que l’on ne peut envisager de troisième mode de production. Mais ce qu’on soutient, c’est que l’apparition d’effets n’est rien d’autre que la manifestation apparente et infaillible de la coproduction dépendante ; et que quand on l’analyse pour savoir si elle est existante ou inexistante, on conclut qu’elle n’est pas établie de quelque façon que ce soit, mais que cela s’apparente simplement à une illusion magique et aux autres [métaphores].

Il est impossible qu’un phénomène soit à la fois existant et inexistant, puisque ces deux [états] s’opposent directement. Et il est également impossible qu’un phénomène soit ni existant, ni inexistant, parce que ces deux états opposés [couvrent tout le champ des possibilités] et qu’il ne peut par conséquent y en avoir une troisième.

« Dans ce cas », pensez-vous peut-être, « tout comme l’option “ni l’un ni l’autre” s’avère ici impossible, elle ne peut pas plus être envisageable dans le contexte de l’affranchissement des élaborations conceptuelles à l’égard des quatre extrêmes que sont l’existence, l’inexistence, etc. » Sur cette lancée, vous vous dites peut-être, « comme dans le cas de l’affirmation faite sans préciser “non existant et non inexistant”, il est impossible que deux oppositions directes laissent place à une troisième option ; donc l’état naturel peut se comprendre à l’aide des deux négations, et il n’est d’aucune utilité de définir ce que “rien du tout” signifie. Ainsi, hormis la position (sournoise) qui consiste à ne rien affirmer du tout, notre propre tradition ne fait aucune déclaration définitive sur la façon dont les choses sont. » Il se peut que certains débutants qui manquent de maturité spirituelle réfléchissent de la sorte, mais c’est tout à fait erroné.

Tant et aussi longtemps qu’on garde une base de référence conceptuelle, il est impossible d’aborder les choses en supprimant totalement les quatre extrêmes. Donc, peu importe ce qu’on affirme en distinguant une chose d’une autre – en disant, par exemple, « il n’y a pas de serpent dans cette maison, mais il s’y trouve un vase » -, l’assertion comporte des références conceptuelles impliquant des notions conceptuelles particulières. De telles affirmations ne sont donc pas au-delà du domaine de la pensée conceptuelle ordinaire. Dans le véritable état de simplicité, au sein duquel toute focalisation conceptuelle s’est estompée, il n’y a pas la moindre assertion ni la moindre référence conceptuelle à l’égard des quatre extrêmes. Néanmoins, ce n’est pas du tout comme un état d’inconscience ou comme la terne confusion de celui qui n’a pas réalisé la réalité ultime. Il s’agit d’un état difficile à exprimer avec des mots ou des analogies : pour paraphraser la Louange à la Prajñāpāramitā, la merveilleuse mère composée par Rāhula, c’est au-delà des mots, au-delà de la pensée, au-delà de toute description. C’est la simplicité discernée au moyen de notre propre conscience éveillée individuelle, au sein de laquelle ont été tranchés tous les doutes : une intelligence non conceptuelle, primordiale, dépourvue de perceptions dualistes, mais naturellement lumineuse, comme le soleil radieux.

 3. L’analyse de l’identité essentielle : « ni singulier, ni pluriel »

Pour commencer, on examine l’identité essentielle de tous les phénomènes conditionnés et inconditionnés pour déterminer s’il s’y trouve une véritable singularité. Dans le cas des phénomènes conditionnés associés aux cinq agrégats et possédant une forme physique, on peut les diviser en parties : le dessus, le dessous, le centre, les points cardinaux et intermédiaires. De la sorte, on voit que dans le cas d’un objet tel qu’un vase, la singularité n’est qu’une notion conceptuelle appliquée à un ensemble de caractéristiques qui servent de base à cette désignation. On ne peut établir de véritable singularité, et cela s’applique aussi aux différentes parties ou composantes [de l’objet]. Le corps et les membres peuvent également être divisés de la même façon.

En bref, tout ce qui possède une forme physique et est composé de particules matérielles peut être décomposé en ses composantes de base, les particules infiniment petites. Et – pour reprendre la logique utilisée plus haut –, pour que la plus infime particule puisse être entourée d’autres particules dans les différentes directions, elle doit avoir des côtés, ce qui signifie qu’elle doit avoir des parties ; et ainsi de suite, dans une régression infinie. Si ce n’était pas le cas, on aurait beau réunir d’innombrables particules subtiles qu’elles ne pourraient jamais [s’agréger pour] occuper plus d’espace. Ainsi tous les phénomènes dotés d’une forme matérielle sont-ils dépourvus de véritable singularité.

De plus, les huit ou six ensembles de consciences ne peuvent être établis comme étant véritablement singuliers : ils sont constitués de divers états mentaux et processus cognitifs, se concentrent sur différentes caractéristiques, et se manifestent de différentes façons à partir de la réunion des quatre conditions, avant de cesser.

Si on analyse toute chose qui apparaît et cesse en fonction des causes qui lui sont rattachées, on n’arrive pas même à établir [l’identité essentielle du] plus subtil « moment indivisible ». Donc, tous les phénomènes, qu’ils s’apparentent à l’esprit ou à la matière, sont dépourvus de véritable singularité. Quant aux formations non associées [c’est-à-dire ne relevant ni de l’esprit, ni de la matière], ce sont simplement des attributions faites en référence à l’esprit et à la matière, qui sont donc également dépourvues de toute identité essentielle. Les phénomènes inconditionnés sont des imputations faites en référence à des objets de négation dont certains aspects sont écartés, et ils sont eux aussi dépourvus de toute identité essentielle.

En bref, tous les phénomènes conditionnés et inconditionnés ne peuvent démontrer de véritable singularité, et il s’ensuit qu’on ne peut davantage établir leur pluralité, puisqu’elle serait composée d’éléments singuliers. Or, comme il ne peut y avoir de mode d’existence véritable en dehors de ces deux scénarios (être véritablement singulier ou pluriel), on peut démontrer que les individus et les phénomènes sont dépourvus d’identité inhérente. Cela est expliqué de façon plus détaillée dans L’ornement de la Voie médiane.

 4. L’analyse exhaustive : la grande interdépendance

Les phénomènes, quels qu’ils soient, ne voient pas le jour par la force de leur identité inhérente, mais résultent de la réunion de causes et conditions ; et en l’absence de ces dernières, ils ne se manifestent point. Au moment même où ils apparaissent, ils le font tout en étant dénués de la moindre existence intrinsèque, à l’instar de reflets, suscités par des causes et conditions. N’étant pas affectés par la moindre élaboration conceptuelle en fait de permanence ou d’inexistence, d’allée ou de venue, de production ou de cessation, de singularité ou de pluralité, ils apparaissent sans être véritablement réels.

En évaluant les choses de la sorte, à l’aide de raisonnements orientés vers la nature ultime et véritable des phénomènes, on découvre qu’ils se résument à l’infaillible coproduction dépendante. Autrement, s’ils étaient véritablement établis de quelque façon que ce soit – par exemple, s’ils étaient produits selon l’un ou l’autre des quatre extrêmes ou l’une ou l’autre des quatre possibilités, ou s’ils étaient existants ou inexistants, permanents ou impermanents – alors cela expliquerait bien mal le plan conventionnel, et résulterait en une dépréciation de toutes les conventions.

Selon la tradition de la Voie médiane, pour laquelle la vacuité et les apparences illusoires et irréelles relevant de la coproduction dépendante participent à une même réalité, toutes les conventions fondées sur les apparences sont tout à fait raisonnables. Ainsi, les conventions de ce monde, de même que les conventions supramondaines des quatre vérités, des Trois Joyaux et ainsi de suite, sont toutes parfaitement établies.

Ce roi des raisonnements, celui de la grande interdépendance, inclut tous les autres types de logiques ultimes – les éclats de diamant, et ainsi de suite – parce qu’elles se penchent toutes sur les apparences qui, lorsqu’elles ne sont pas examinées, semblent réelles, et relèvent pourtant de la coproduction dépendante. Quand on procède à l’analyse, on ne peut établir la moindre cause, ni le moindre effet, ni la moindre identité essentielle. Les nombreuses variantes et implications de cette logique examinant le sens des origines dépendantes sont exposées, entre autres, dans Les stances fondamentales de la Voie médiane.

Conclusion

Donc, au niveau relatif, causes, effets et identités inhérentes apparaissent de cette façon et sont étiquetés à la lumière de telles conventions. Ultimement, les causes, effets et identités inhérentes sont dépourvus de nature véritable, n’étant autres que la vacuité caractérisée par les trois portes de la libération. La vacuité au sein de laquelle les deux vérités sont inséparablement unies est le dharmadhātu, l’objet à réaliser en empruntant la Voie médiane. C’est la réalisation suprême parmi toutes les réalisations auxquelles on peut tendre, la « mère » de tous les victorieux bouddhas et de leurs héritiers.

Ce point concernant l’égalité dans laquelle la vérité des apparences et la vérité de la vacuité sont indivisibles est comparable à la dimension de l’espace, inimaginable, inexprimable, au-delà du domaine de la pensée conceptuelle. Pourtant, avec la sagesse non conceptuelle, on peut la méditer à la manière de la pure conscience éveillée qui se connaît elle-même. Pendant la phase post-méditative, on a confiance et la certitude que toutes les choses apparaissent tout en étant dénuées de réalité véritable, à l’instar des diverses métaphores : une illusion magique, un rêve, un reflet, une création merveilleuse, etc. Et, avec la sagesse qui discerne entièrement les deux vérités, on parvient sans erreur à une réalisation authentique à l’égard de toutes les catégories relevant de la base, de la voie et du fruit.

En comprenant ainsi le sens de la vacuité, l’on verra naître toutes les qualités d’éveil de la voie et du fruit du Grand Véhicule.

Extrait de L’Entrée dans la connaissance (mKhas 'jug) de Mipham Rinpoché, auquel furent ajoutées des explications supplémentaires issues du commentaire de Khenpo Nüden.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la version anglaise d’Adam Pearcey (2005).


Bibliographie

Éditions tibétaines

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Sources secondaires

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Jamgön Kongtrul Lodrö Tayé. The Treasury of Knowledge. Book Six, Part Three: Frameworks of Buddhist Philosophy. Elizabeth M. Callahan, ed. Ithaca, NY: Snow Lion Publications, 2007.

Jamgön Mipham Rinpoche. Gateway to Knowledge, Volume I. Translated by Erik Pema Kunsang. Hong Kong: Rangjung Yeshe Publications, 1997.

_____ .Gateway to Knowledge, Volume II. Translated by Erik Pema Kunsang. Hong Kong: Rangjung Yeshe Publications, 2000.

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Kangyur Rinpoche. Treasury of Precious Qualities. Translated by Padmakara Translation Group. Boston and London: Shambhala, 2001. (À noter qu’un premier tome est paru en français en 2010 aux éditions Padmakara, sous le titre Le Trésor de précieuses qualités, Volume 1.)

Longchen Rabjam. The Precious Treasury of Philosophical Systems. Translated by Richard Barron. Junction City, California: Padma Publishing, 2007.

Pettit, John Whitney. Mipham’s Beacon of Certainty: Illuminating the View of Dzogchen, the Great Perfection. Boston, MA: Wisdom Publications, 1999.

Ruegg, David Seyfort. The Literature of the Madhyamaka School of Philosophy in India. Wiesbaden: Otto Harrassowitz, 1981.

Shantarakshita and Jamgön Mipham. The Adornment of the Middle Way: Shantarakshita’s Madhyamakalankara with Commentary by Jamgon Mipham. Translated by Padmakara Translation Group. Boston, MA: Shambhala Publications, 2005.


Version : 1.0-20230726



  1. Nāgārjuna, Mūlamadhyamakakārikā, 1:1.  ↩

  2.  Candrakīrti, Madhyamakāvatāra, 6:9–11.  ↩

  3.  Idem*, 6:12.  ↩

  4.  Idem, 6:14a.  ↩

  5.  Candrakīrti, Madhyamakāvatāra, 6:16. « Safran » : d’autres traductions parlent d’un lotus (Padmakara Translation Committee), ou d’étamines (Adam Pearcey). Nous avons ici suivi Patrick Carré.  ↩

  6.  Candrakīrti, Madhyamakāvatāra, 6:20. Notre traduction de ce quatrain s’inspire à la fois de celle d’Adam Pearcey et de celle du Padmakara Translation Committee.  ↩

  7.  Candrakīrti, Madhyamakāvatāra, 6:98a.  ↩

  8.  Candrakīrti, Madhyamakāvatāra, 6:100. Notre traduction de ce quatrain s’inspire à la fois de celle d’Adam Pearcey et de celle de Patrick Carré.  ↩

  9.  C’est-à-dire plus tôt dans le mKhas 'jug (« L’Entrée dans la connaissance »). Voir Gateway to Knowledge, Vol I, Rangjung Yeshe Publications, 1997, pages 64-65.  ↩

  10.  Les huit extrêmes : production, cessation, permanence (éternalisme), inexistence (nihilisme), allée, venue, pluralité, singularité.  ↩

  11.  Il s’agit du 14e verset du texte. Khenpo Nüden donne la citation dans un ordre légèrement différent, mais le traducteur anglophone a suivi l’original.  ↩

  12. La traduction de ce paragraphe est interprétative.  ↩

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