Mise en pratique de la purification mentale

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Mipham Rinpoche

Ju Mipham Namgyal Gyatso

Comment mettre en pratique les instructions sur la purification de l’activité mentale

par Mipham Rinpoché

Namo guru !

Pour mettre en pratique les instructions sur la purification de l’activité mentale, demeurez dans la solitude et adoptez une conduite propice à la concentration. Les contemplations sur la difficulté d’obtenir les libertés et avantages et ainsi de suite vous inspireront à méditer. Visualisez l’Enseignant bienheureux, le Roi des Śākyas, au-dessus de votre tête, entouré du Saṅgha des grand et petit véhicules. Faites l’offrande septuple (c’est-à-dire la prière en sept branches commençant par ji nyé sou dak)[1], et récitez la prière suivante avec une dévotion fervente : « Inspirez-moi avec vos bénédictions, afin que les étapes de la pratique purifiant l’activité mentale puissent s’actualiser en mon esprit et dans l’esprit de tous les êtres, ici et maintenant, alors même que je suis assis sur ce coussin ! » Engendrez également l’esprit d’éveil en pensant : « J’atteindrai l’éveil parfait pour le bien de tous les êtres ; et c’est pour cette raison que je vais maintenant méditer sur les étapes de la purification de l’activité mentale. »

La multiplicité

Tout d’abord, imaginez qu’apparaît devant vous quelqu’un pour qui vous ressentez de l’attachement, ou toute personne pouvant faire l’objet de votre pratique. Considérez que son corps se trouve disséqué comme il le serait dans un charnier, en commençant par l’orbite de l’œil droit… Voyez la peau qui se sépare du corps, la chair, les os, les organes internes. Imaginez l’odeur et les différentes caractéristiques de chaque partie. Continuez le processus, séparant mentalement chacune des trente-six substances impures, jusqu’à parvenir au niveau des plus infimes particules. Ce faisant, développez une profonde compréhension des défauts inhérents au corps physique. Puis, de la même façon, divisez la chair et les os en fonction de leurs composantes élémentaires : la solidité, c’est-à-dire l’élément terre ; la chaleur, ou le feu ; le souffle, qui est l’élément du vent ; le sang, l’urine et les autres fluides qui se rattachent à l’élément eau ; les cavités, associées à l’espace. Ces éléments et leurs différentes caractéristiques se retrouvent combinés dans le corps comme un gros entassement de serpents venimeux. Dirigez l’œil de votre intelligence sur la vacuité du corps, ou sur ce qui le rend comparable à un masque. Le rythme et la durée de la séance ne sont pas prédéterminés : méditez jusqu’à ce que tout vous apparaisse clairement à l’esprit.

On trouve dans les sūtras l’exemple de divers grains et céréales – riz, orge, maïs – qui serait entassés ensemble : une personne habile peut les séparer en les distinguant nettement. De même, en divisant les composantes des agrégats et en les analysant une à une, il est possible d’en venir à comprendre leur multiplicité. Premièrement, abordez la forme, comme on vient de le décrire. Une fois que vous avez effectué clairement la contemplation, passez aux sensations. Elles sont typiquement divisées en trois : plaisantes, douloureuses et neutres. Or, même les plaisantes se déclinent à leur tour en variantes ou subdivisions, selon qu’elles se manifestent à la vue d’une forme plaisante, à l’écoute d’un son plaisant, et ainsi de suite. Analysez et disséquez ces sensations à la lumière de leur caractère multiple [ou divisible]. Après quoi, considérez les perceptions. Il y en a de diverses sortes, incluant les bonnes, les mauvaises et les neutres, de même que toutes sortes de perceptions classées en fonction de leur objet particulier – qu’il s’agisse d’un pilier, d’un vase, d’un cheval, d’un bœuf, d’un homme, d’une femme, peu importe. Développez la conviction que l’agrégat de la perception englobe lui aussi une multitude de phénomènes, étant donné qu’il y a toutes sortes de perceptions. Ensuite, penchez-vous sur ce qu’on appelle l’agrégat des « facteurs de composition »[2]. Ces facteurs associés à l’esprit incluent les différents événements mentaux (excluant la sensation et la perception qui sont traitées à part), tels que l’attention et le contact. Ils représentent donc eux aussi une multiplicité. Par exemple, il y a plusieurs sortes d’états mentaux vertueux, comme la foi et la dignité. Il y a aussi toutes sortes d’états mentaux non vertueux, comme le manque de foi, l’absence de dignité, l’attachement, l’aversion, et ainsi de suite. Même au sein d’un seul état d’esprit empreint d’attachement ou de non-attachement, on peut déceler différentes particularités, selon l’objet, le temps, les caractéristiques… si bien que les subdivisions sont illimitées. Les facteurs de composition représentent donc une multiplicité, une grande pluralité de phénomènes. Enfin, considérez la conscience : elle se décline en fait en six – allant de la conscience visuelle à la conscience mentale – et chacune de ces consciences a ses propres subdivisions. Par exemple, la conscience visuelle inclut l’appréhension du bleu, l’appréhension du jaune, et ainsi de suite. Analysez clairement la façon dont ces éléments impliquent une multiplicité, une grande variété.

Un sūtra dit :

La forme est comme de l’écume ;
Les sensations, comme des bulles sur l’eau ;
La perception, comme un mirage ;
Les formations, comme un plantain ;
La conscience, comme une illusion :
Ainsi l’affirme l’Ami du Soleil.

Quand vous parvenez à la certitude spéciale que les choses sont ainsi, demeurez dans cet état, sans étourderie, aussi longtemps que possible. Quand l’effet se dissipe, plutôt que vous acharner à le prolonger, passez à la contemplation de l’impermanence.

L’impermanence

Toute entité qui voit le jour n’est pas totalement identique l’instant d’après : elle change immédiatement. Entre le moment où elle apparaît et celui où s’achève sa cessation, un processus de transformation s’opère continuellement. Qu’il s’agisse d’un éclair éphémère ou du monde extérieur, lequel peut sembler durer un cycle cosmique, cela n’y change rien : tout phénomène conditionné passe par une succession de moments au cours desquels production et cessation se renouvellent constamment. Familiarisez-vous avec la compréhension que tout ressemble à une chute d’eau ou à la flamme d’une lampe. Contemplez le fait que tous les mondes – les environnements et les êtres qui les habitent – se forment et en fin de compte périssent ; contemplez la succession des quatre saisons dans le monde extérieur ; de même, les phases de la vie et les circonstances changeantes avec lesquelles les êtres doivent composer – jeunesse et vieillesse, positions basses et élevées, joies et peines. Réfléchissez à votre propre expérience et à ce que vous avez vu et entendu à propos des autres. Méditez de ces diverses façons jusqu’à développer avec une grande clarté la certitude que toutes les choses conditionnées ressemblent à des éclairs jaillissants, des bulles sur l’eau, des nuages dans le ciel.

La souffrance

Quand cette compréhension perd de sa vigueur, examinez à nouveau ces agrégats contaminés – ces tas d’éléments variés qui fluctuent continuellement sans demeurer statiques un seul instant. Voyez comment chaque expérience douloureuse, à chaque instant qui passe, relève de la souffrance de la souffrance – sans parler de la continuité de ces expériences ni du niveau plus manifeste ou grossier des apparences. Voyez ensuite que les expériences qui semblent heureuses sont susceptibles de prendre fin d’un moment à l’autre : elles font partie d’un flux qui ne cesse de se modifier et constituent donc la souffrance du changement. Que vous fassiez actuellement l’expérience du bonheur, de la souffrance ou de l’équanimité, c’est comme si vous aviez consommé de la nourriture empoisonnée : il n’est pas un seul instant d’expérience qui ne se transformera pas en cause de souffrance future. C’est sur la base des moments antérieurs que les moments ultérieurs se manifestent : si les instants antérieurs étaient d’une façon ou d’une autre « incomplets », leurs effets ne sauraient se produire. On voit bien, pourtant, que chaque instant permet l’apparition d’une souffrance future : c’est là la souffrance inhérente à l’existence conditionnée.

Réfléchissez à la façon dont les agrégats contaminés compris dans les trois mondes se rattachent aux trois types de souffrance, jusqu’à ce que vous soyez certain que les agrégats servent de base à la souffrance et qu’ils sont comparables à un immense brasier ou à un marais infect. De plus, contemplez les souffrances individuelles des êtres des six classes, tels que le froid et la chaleur intenses des enfers, et toutes les formes de souffrances dont vous avez été témoin, dont vous avez entendu parler, et dont vous avez vous-même fait l’expérience. Là encore, la séquence et la durée ne sont pas fixes : simplement, réfléchissez autant que vous le pouvez à toutes les sortes de souffrances majeures et mineures dans l’existence. Reconnaissez que ces souffrances diverses et variées, si difficiles à endurer, ne cesseront de se manifester encore et encore, jusqu’à l’atteinte de la noble voie. Voyez également qu’elles émanent toutes du continuum des agrégats contaminés qui servent de base à la saisie. Poursuivez cette réflexion jusqu’à ce qu’une reconnaissance de leurs défauts inhérents s’élève du plus profond de votre cœur et que vous parveniez à une certitude inébranlable.

L’absence d’identité propre

Poursuivez sur cette lancée en demeurant dans l’état d’esprit occasionné par cette certitude. Quand votre compréhension perd de sa vitalité, considérez à nouveau les cinq agrégats. Les trois analyses menées jusqu’à maintenant nous ont convaincus de leur nature impermanente, multiple et douloureuse. Bien que nous supposions que ces agrégats constituent une personne ou un soi sur la base duquel on pense, « je suis », ils sont totalement dépourvus d’une telle identité ou d’un tel « moi » qui existerait de façon inhérente. Réfléchissez-y : en plein jour, vous reconnaîtriez l’absence de serpent dans un tas de corde chinée ; de même, les yeux de l’intelligence peuvent percevoir l’absence d’identité propre dans ce qui n’est que les agrégats, lesquels sont eux-mêmes composés de particules et de moments successifs – ensemble qu’on étiquette comme étant un soi ou une identité uniquement quand on ne l’analyse pas.

Règle générale, l’absence d’identité propre est le point le plus important à réaliser. Toutefois, on ne devrait pas en faire notre unique point de mire, puisque les trois premières analyses facilitent la compréhension de la quatrième : le dynamisme qu’elles insufflent aide à surmonter certaines difficultés. Quoi qu’il en soit, ici aussi il faut méditer jusqu’à ce que la certitude (en l’occurrence, à l’égard de l’absence d’identité) commence à s’atténuer. Quand d’autres pensées commencent à s’agiter, ne vous laissez pas influencer par elles, mais reprenez l’analyse, en commençant par la multiplicité des agrégats. Méditez en procédant étape par étape et en vous assurant de parvenir à une compréhension décisive de chaque point. Parfois, examinez vos propres agrégats ; parfois, ceux des autres ; parfois, examinez les phénomènes conditionnés en général. Menez l’une ou l’autre de ces trois sortes d’analyse, selon votre préférence.

À la fin de la séance, dédiez la vertu engendrée puis demeurez dans une aisance naturelle. Si vous pratiquez dans le cadre de séances multiples, essayez de maintenir en mouvement la roue analytique, sans interruption – comme un feu de forêt qui se répand dans les herbes sèches –, de sorte que les pensées superficielles n’aient pas l’occasion d’intervenir. Si la fatigue mentale vous gagne, permettez-vous simplement de vous détendre sans contempler quoi que ce soit. Si des pensées s’agitent, dites-vous : « À quoi bon les préoccupations futiles ? Je dois diriger tout mouvement de l’esprit en direction de la plus utile des activités mentales. » En procédant ainsi, encore et encore, vous parviendrez à un stade où l’attention délibérée suscite sans le moindre effort une puissante conviction, et où les pauses lors desquelles on laisse l’esprit se reposer entre les séances permettent aux points clés de la contemplation de se manifester spontanément à l’esprit, pour son plus grand bienfait. Ces étapes méditatives fondées sur les sūtras peuvent être facilement comprises par tout le monde, quel que soit leur niveau d’intelligence. Elles suscitent d’immenses bienfaits sans requérir de raisonnements exhaustifs, et font qu’il est possible, une fois que leur pratique nous est devenue familière, de réaliser le point clé de tous les dharmas. Donc :

L’essentiel n’est pas d’enseigner mais de méditer.
Si tu médites, n’enseigne pas, mais apprends en profondeur.
Enseigner sans méditer, c’est jouer au perroquet.
Donc, pratique cette méditation analytique.

Pour répondre à la requête de Péma Gyaltsen,
Qui m’a offert le papier,
Moi, Mipham, j’ai écrit en quelques mots
Ce qui m’est venu à l’esprit lors d’une pause-thé.

Maṅgalam.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2021).


Bibliographie

Édition tibétaine

Mi pham rgya mtsho. “sems kyi spyod pa rnam par sbyong ba so sor brtag pa'i dpyad sgom 'khor lo ma/” dans gsung 'bum/_mi pham rgya mtsho. TBRC W23468. 27 vols. Paro, Bhutan : lama ngodrup and sherab drimey, 1984-1993. http://tbrc.org/link?RID=W23468 Vol. 27 : 9–17.

Sources secondaires

Dilgo Khyentse, “The Wheel of Investigation”, dans The Collected Works of Dilgo Khyentse: Volume Two. Boston, MA: Shambhala Publications, 2010.

Duckworth, Douglas, S. Jamgön Mipam: His Life and Times. Boston, MA: Shambhala Publications, 2011.

Khenchen Palden Sherab Rinpoche & Khenpo Tsewang Dongyal Rinpoche, Uprooting Clinging: A Commentary on Mipham Rinpoche’s Wheel of Analytic Meditation, Dharma Samudra, 2019.

Khenpo Gawang. Your Mind is Your Teacher: Self-Awakening through Contemplative Meditation. Boston, MA: Shambhala Publications, 2013.

Lama Mipham. Calm and Clear, traduit par Keith Dowman. Berkeley, CA. Dharma Publishing, 1973.

Mipham Rinpoché, La roue de la méditation analytique : Un entraînement complet à l’analyse par l’esprit, traduit par Gyurme Avertin, Lotsawa House.


Version : 1.0-20230724



  1. Référence aux sept branches de La Reine des prières d'aspiration : « L'Aspiration aux actions bénéfiques » de Samantabhadra (Zangchö Mönlam).  ↩

  2. Le quatrième agrégat est connu sous diverses appellations : « facteurs mentaux », « formations volitionnelles », « forces concrétisantes »…  ↩

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