La Lampe de la voie de l’Éveil

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Atiśa Dīpaṃkara

Atiśa Dīpaṃkara

Introduction du traducteur vers l’anglais

Peu de figures ont joué un rôle aussi central dans la transmission du Dharma de l’Inde au Tibet que le grand maître Atiśa Dīpaṃkara Śrījñāna (982–1055 ?). En tibétain, on l’appelle souvent « Seigneur » (jo bo rje), tout simplement. C’est le représentant le plus emblématique de la revitalisation qu’a connu le bouddhisme au Tibet au 11e siècle, après la tumultueuse période de fragmentation (sil bu’i dus) qui avait commencé en 842 avec la chute de l’empire tibétain. Son influence sur le bouddhisme tibétain continue de se faire sentir de nos jours, près d’un millénaire après son arrivée au Pays des Neiges, et ses enseignements ont inspiré des millions de pratiquants en Asie centrale et désormais partout dans le monde. Un survol de sa vie et de ses activités peut aider à mieux comprendre le texte fondamental qu’est La Lampe pour la voie de l’Éveil.

Atiśa, deuxième fils d’une famille royale du Bengale, dans l’est de l’Inde, naît en 982. La veille d’un mariage adolescent, il a une vision saisissante de Tārā, qui l’encourage à renoncer aux affaires de ce monde, même s’il est encore jeune, et à entrer dans la voie bouddhique. Il erre dans les jungles et montagnes de l’Inde pour recueillir les instructions de maîtres bouddhistes, et l’on raconte qu’il étudie auprès d’un grand nombre de mahāsiddhas. Certains témoignages laissent également entrevoir la possibilité qu’il pratique à cette époque des yogas sexuels tantriques[1].

Il reçoit les vœux de bodhisattva auprès du maître Bodhibhadra à Nālandā, célèbre université monastique indienne. À 29 ans – l’âge auquel Siddhartha quitta son palais –, Atiśa fait un rêve dans lequel le Bouddha lui-même l’incite à devenir moine. Il va donc prendre l’ordination monastique complète dans un monastère de Bodhgayā, et c’est alors qu’il reçoit le nom de Dīpaṃkara Śrījñāna, « Celui dont la profonde connaissance est comme une lampe ». Avec ses hautes études et son ordination relativement tardives, la biographie d’Atiśa évoque l’inverse du parcours de certains mahāsiddhas indiens tel que Nāropa, qui a renoncé au statut de moine pour pratiquer les tantras uniquement après avoir mené pendant des années la vie d’un moine érudit et irréprochable. La pleine ordination d’Atiśa après qu’il ait vécu presque deux décennies en tant que yogi errant témoigne de la haute estime dans laquelle il tient le Vinaya et la discipline monastique, valeurs qui se reflètent dans La Lampe pour la voie de l’Éveil et, de façon plus générale, dans ses activités missionnaires au Tibet.

Dans les textes tibétains, son enseignant le plus important est appelé Serlingpa (« L’homme de l’île dorée »), maître indonésien aussi connu sous le nom de Suvarṇadvīpa Dharmakīrti. Atiśa entend parler de ce grand maître de la bodhicitta et se résout à entreprendre un périlleux voyage pour aller à sa rencontre et recevoir ses enseignements. De nombreux mois à affronter la mer et l’océan, les remous et autres dangers et obstacles… Il parvient enfin à passer le détroit de Malacca et à atteindre l’île de Sumatra, où il rencontre le maître sublime. Atiśa demeure douze ans sur l’île, à pratiquer intensément la bodhicitta et l’entraînement de l’esprit (blo sbyong). Il retourne ensuite en Inde en tant que détenteur de la lignée des précieux enseignements de Serlingpa; plus tard, il devient aussi l’abbé de la grande université monastique de Vikramaśīla. Une fois au Tibet, il déclarera que parmi ses quarante-cinq enseignants, Serlingpa fut le plus important; ses nombreuses biographies mentionnent d’ailleurs que ses yeux se noyaient de larmes à la simple mention du nom de son maître.

Le récit de l’invitation d’Atiśa au Tibet est l’un des plus légendaires de l’histoire bouddhiste du pays. Vers la fin du 10e siècle, Lha Lama Yéshé Ö, le roi de Pourang-Gougué (pu hrangs gu ge, un royaume de l’ouest du Tibet) envoya vingt et un jeunes Tibétains au Cachemire dans l’espoir de raviver les authentiques enseignements bouddhistes dans son royaume. Cette intention s’appuyait sur la croyance que le bouddhisme était tombé dans un état de décadence morale avec la chute de l’empire tibétain. Dix-neuf des jeunes sont morts pendant le voyage : on peut y voir les premiers des nombreux sacrifices requis pour que le pur Dharma d’Atiśa puisse atteindre le Tibet. L’un des deux survivants était le grand traducteur Rinchen Zangpo (958–1055), qui informa le roi de l’existence d’Atiśa, dont la renommée s’était répandue de l’est de l’Inde jusqu’aux montagnes occidentales du Cachemire.

Le roi confia à neuf hommes la mission d’apporter une grande offrande d’or jusqu’à Vikramaśīla pour implorer Atiśa de se rendre au Tibet et d’y restaurer le Bouddhadharma. Un seul de ces hommes survécut au dangereux voyage à travers les régions himalayennes et indiennes, mais Atiśa refusa l’or et déclina l’invitation, en objectant qu’il était important qu’il demeure en Inde.

En amassant encore plus d’or pour l’offrir au maître et lui adresser une nouvelle invitation, le roi Yéshé Ö fut capturé par des gens du peuple karlouk, farouchement opposé au bouddhisme. En guise de rançon, ils demandèrent son propre poids en or. Son neveu Tchangchoup Ö parvint à réunir la fortune requise pour sauver le roi, mais Yéshé Ö lui demanda d’utiliser plutôt cet or pour inviter à nouveau Atiśa. Le message était clair : le roi sacrifiait sa propre vie pour faire venir le maître au Tibet.[2] Quand Atiśa l’apprit, et qu’il fut en outre directement encouragé par la déesse Tārā, il accepta l’invitation et se rendit au Tibet, où il passa le restant de ses jours.

Le texte qui suit, La Lampe de la voie de l’Éveil, est un chef-d’œuvre de la littérature bouddhique. Comme le mentionne l’auteur au premier et au dernier verset, il l’a composé à la demande de Tchangchoup Ö, qui devint roi suite à la mort de son oncle. Le texte intègre pleinement les trois véhicules de l’enseignement du Bouddha et montre qu’ils ne sont aucunement contradictoires. Doboom Tulku et Glenn Mullin estiment même que « c’est largement grâce à [Atiśa] que de nos jours, toutes les sectes du bouddhisme tibétain combinent les doctrines du Hinayana, du Mahayana général et du Vajrayana[3]. » Par ailleurs, Dza Patrul Rinpoché, grand maître du 19e siècle, nota que bien qu’Atiśa ait parfaitement maîtrisé toute la gamme des enseignements bouddhistes – sūtras et tantras y compris –, il accordait tant d’importance à la pratique fondamentale de la prise de refuge que les Tibétains le surnommèrent « le Paṇḍita du Refuge »[4].

Le chef-d’œuvre d’Atiśa est le texte fondateur du genre littéraire de la « voie graduée » (lam rim), qui occupe une place de choix dans le corpus bouddhiste tibétain. Le Précieux ornement de la libération (dam chos yid bzhin nor bu thar pa rin po che’i rgyan) de Gampopa, Le Grand traité sur les étapes de la voie (lam rim chen mo) de Tsongkhapa et Le repos dans la nature de l’esprit (sems nyid ngal gso) de Longchenpa, grands classiques des écoles Kagyü, Guéloug et Nyingma, respectivement, s’articulent tous fondamentalement selon le schéma de base exposé dans la Lampe d’Atiśa. Comme il s’agit d’un des textes les plus fondamentaux du bouddhisme tibétain – un texte qui a contribué à donner à la tradition la forme qu’on lui connaît aujourd’hui –, c’est un honneur d’en proposer aujourd’hui une traduction anglaise[5]. Puisse-t-elle être bénéfique !

Références supplémentaires (en anglais)[6]

Apple, James B. Atisa Dipamkara: Illuminator of the Awakened Mind. Boulder, CO: Shambhala Publications, 2019.

Doboom Tulku and Glenn H. Mullin. Atisha and Buddhism in Tibet. New Delhi: Tibet House, 1983.

Gardner, Alexander. "Atiśa Dīpaṃkara," Treasury of Lives, accessed March 26, 2021, http://treasuryoflives.org/biographies/view/Atisa-Dipamkara/5717.

Laird, Thomas. The Story of Tibet: Conversations with the Dalai Lama. “Chapter 5: The Dharma Returns, and Buddhist Orders Are Born, 978-1204.” New York: Grove Press, 2007.

The Dalai Lama. Illuminating the Path to Enlightenment. Trans. Geshe Thupten Jinpa. Eds. Rebecca McClen Novick, Thubten Jinpa and Nicolas Ribush. Long Beach, CA: Thubten Dhargye Ling, 2002.


  1. Mullin, Glenn H. The Fourteen Dalai Lamas: A Sacred Legacy of Reincarnation. Santa Fe, NM: Clear Light Publishers, 2001, p. 13.  ↩

  2. Sa Sainteté le Dalaï-Lama raconte qu’enfant, il a vu le corps sans tête du roi Yéshé Ö préservé dans du sel au Potala. Voir Laird, 2007, p. 71.  ↩

  3. Atisha and Buddhism in Tibet. New Delhi: Tibet House, 1983, p. 71.  ↩

  4. rdza dpal sprul rin po che. rdzogs pa chen po klong chen snying thig gi sngon ’gro’i khrid yig kun bzang bla ma’i zhal lung. New Delhi: chos spyod par skrun khang, 2013, p. 260.  ↩

  5. Cette introduction fut composée par Patrick Dowd, qui a assuré la traduction vers l’anglais à partir du texte tibétain. Dans la note 5, il remercie des collègues et donne quelques renseignements sur son processus de traduction. Nous n’avons pas cru pertinent de traduire cette note ici, mais les lecteurs bilingues voudront peut-être comparer les deux versions, qui comportent inévitablement quelques différences.  ↩

  6. Dans son Dictionnaire encyclopédique, Philippe Cornu donne deux références en langue française, que nous n’avons pu consulter à ce jour : une étude sur la vie et l’œuvre du maître (M. Salen, Quel bouddhisme pour le Tibet?, Jean Maisonneuve, Paris, 1986), et une traduction de la Lampe (parue dans Dromteunpa, l’humble yogi, ou le Renouveau du bouddhisme au Tibet au XIe siècle, par M.-S. Boussemart, Vajra Yogini, Marzens, 1999). Pour notre part, nous avons notamment consulté The Lamp for the Path to Enlightenment: Atisha’s Root Text with a Commentary by Jamgön Kongtrul Lodrö Thaye, traduit par Khenpo David Karma Choephel, Dharma Ebooks, 2017.  ↩

La Lampe de la voie de l’Éveil

par Atiśa Dīpaṃkara

En langue sanskrite : Bodhipāthapradipaṃ
En langue tibétaine : jangchup lam gyi drönma (byang chub lam gyi sgron ma)
En langue française : La Lampe de la voie de l’Éveil

Hommage à Mañjuśrī, le bodhisattva juvénile !

1. Je me prosterne très respectueusement devant les Vainqueurs des trois temps,
Devant leur Dharma et devant les membres du Saṅgha.
À la requête de mon bon élève Tchangchoup Ö,
J’allumerai ici une lampe pour la voie de l’Éveil.

2. Comprends qu’il y a trois types d’individus :
Inférieurs, intermédiaires et supérieurs.
Je propose un système de classification
Clarifiant sans équivoque leurs caractéristiques respectives.

3. Sache que ceux qui, par quelque moyen que ce soit,
Cherchent exclusivement les plaisirs temporels
Du saṃsāra pour leur propre bien
Sont des êtres inférieurs.

4. Ceux qui ont tourné le dos aux plaisirs du saṃsāra
Et qui s’abstiennent du mauvais karma,
Mais qui se consacrent uniquement à leur propre quête de paix,
Ceux-là sont dits intermédiaires.

5. Ceux qui souhaitent réellement éradiquer
La totalité de la souffrance des autres
Comme s’il s’agissait de leur propre souffrance,
Ceux-là sont suprêmes.

6. Pour ces êtres nobles
Qui aspirent à l’éveil insurpassable,
J’expliquerai les méthodes parfaites
Enseignées par les maîtres spirituels.

7. En présence de peintures, de statues,
De stūpas, et d’autres représentations du Bouddha parfait,
Offre des fleurs, de l’encens agréable
Et tout ce que tu peux te permettre d’offrir.

8. De plus, en présentant l’offrande septuple
Enseignée dans « L’Aspiration aux actions bénéfiques » de Samantabhadra,
Avec l’intention de ne jamais abandonner
Avant d’atteindre le cœur de l’éveil,

9. Et animé d’une foi fervente dans les Trois Joyaux,
Pose un genou à terre,
Joins les paumes,
Et prends d’abord refuge, trois fois.

10. Puis, avec un esprit aimant
À l’égard de tous les êtres sensibles,
Considère tous ceux et celles, sans exception,
Qui souffrent de la naissance, de la mort et ainsi de suite
Dans les trois domaines inférieurs.

11. Avec le souhait de libérer tous les êtres
De la souffrance de la souffrance,
Et de l’expérience de la souffrance comme de ses causes,
Génère la bodhicitta avec une détermination irréversible.

12. Maitreya a détaillé les qualités
Suscitées par la génération
De la bodhicitta d’aspiration
Dans le Gaṇḍavyūha Sūtra[1].

13. Ayant compris les qualités illimitées
De l’esprit axé vers l’éveil complet
En lisant les sūtras ou en écoutant un enseignant spirituel,
Génère ce même état d’esprit, encore et encore.

14. Le Sūtra des Questions de Vīradatta[2]
En expose les mérites en détail.
Ici, en guise de résumé,
Contentons-nous d’en citer trois versets :

15. « Si le mérite engendré par la bodhicitta
Prenait une forme physique,
L’espace tout entier
Ne pourrait le contenir.

16. « Si quelqu’un remplissait de joyaux
Autant de terres pures
Qu’il y a de grains de sable sur les rives du Gange,
Et les offrait au Protecteur du Monde,

17. « Cette offrande serait de loin surpassée
Par celle d’une personne qui joint les paumes
Et dirige résolument son esprit vers l’éveil :
Cela dépasse toute limite. »

18. Tu dois générer la bodhicitta d’aspiration
Et faire des efforts constants pour l’amplifier.
Veille à maintenir parfaitement les préceptes enseignés,
De sorte que tu puisses t’en souvenir dans les vies à venir.

19. À moins de prononcer le vœu de la bodhicitta en application,
Ton aspiration, si parfaite soit-elle, stagnera.
Animé du souhait d’atteindre le plein éveil,
Efforce-toi de prendre pleinement le vœu.

20. Seuls ceux et celles qui maintiennent continuellement
L’un des sept types de vœux de libération individuelle
Ou d’autres vœux auront la chance
De prendre le vœu de bodhisattva – nul autre ne le pourra.

21. Selon les explications du Tathāgata
Sur les sept classes de vœux de libération individuelle,
La conduite pure et glorieuse – le célibat – est dite suprême.
Il s’agit là des vœux de l’ordination complète.

22. Selon le rituel décrit dans le chapitre
Sur la discipline des Terres des bodhisattvas,
Tu devrais prendre le vœu auprès
D’un bon enseignant spirituel, qualifié et authentique.

23. Il faut comprendre qu’un bon enseignant spirituel
En est un qui maîtrise le rituel de prise de vœux,
Qui vit conformément au vœu, et qui possède
La patience et la compassion requises pour le donner.

24. Si tes recherches pour trouver un tel
Enseignant spirituel s’avèrent infructueuses,
Sache qu’il existe un autre rituel
Permettant la prise de vœu.

25. Je vais donc décrire de façon limpide comment,
Jadis, alors qu’il était Ambarāja,
Mañjuśrī a engendré la bodhicitta,
Événement décrit dans le sūtra intitulé
Ornement des vertus de la terre pure de Mañjuśrī[3].

26. « En présence des Protecteurs,
Je dirige mon esprit vers l’éveil suprême.
Je me mets au service de tous les êtres,
Et les libérerai du saṃsāra.

27. « Dorénavant,
Jusqu’à ce que j’atteigne l’éveil,
Je ne générerai pas de malveillance,
De colère, d’avarice ou de jalousie.

28. « J’adopterai une conduite pure,
Et j’abandonnerai les méfaits et désirs.
Enthousiaste et déterminé à émuler les bouddhas,
Je m’entraînerai aux vœux qui ont trait à la discipline.

29. « Sans aspirer à atteindre au plus vite
L’éveil pour mon propre bien,
Je resterai jusqu’à la fin des temps
S’il le faut pour aider un seul être.

30. « Je préparerai d’incommensurables
Et inconcevables royaumes,
Et demeurerai dans les dix directions
Pour quiconque prononce mon mot.

31. « Je purifierai, sans rien omettre,
Toutes les actions du corps, de la parole
Et également de l’esprit,
Et j’éviterai tout ce qui n’est pas vertueux. »

32. Un corps, une parole et un esprit parfaitement purs
Te font préserver le vœu de la bodhicitta d’engagement.
En pratiquant correctement la discipline des trois entraînements,
Ton respect à leur égard se renforcera.

33. Ainsi, en t’appliquant aux vœux de bodhisattva,
Orientés vers l’éveil pur et parfait,
Tu rassembleras toutes les provisions
Requises pour parvenir à l’éveil complet.

34. Tous les bouddhas disent que la cause
Permettant de compléter ces accumulations
De mérites et de sagesse
Est le développement de la clairvoyance[4].

35. De même qu’un oisillon manquant d’expérience
Ne peut voler dans le ciel,
Une personne dénuée de clairvoyance
Ne peut œuvrer au bien des êtres.

36. Le mérite engendré en une seule journée
Par quiconque possède cette clairvoyance :
Voilà ce à quoi celui qui en est dépourvu
Ne pourra parvenir même en cent vies.

37. Ceux qui souhaitent parachever promptement
Les accumulations requises pour l’éveil parfait
Atteindront la clairvoyance
Par l’effort et non par la paresse.

38. La clairvoyance ne se manifeste point
En l’absence de śamatha;
Donc, efforce-toi encore et encore
De parvenir à la quiétude.

39. Toutefois, si les facteurs requis pour śamatha
Sont faibles, tu aurais beau t’acharner
À la méditation pendant mille ans,
Que tu n’accomplirais pas le samādhi.

40. Par conséquent, maintiens les facteurs
Énoncés dans la Monographie sur le Samādhi[5],
Et pose ton esprit sur un objet d’attention
Approprié et vertueux.

41. Quand le pratiquant actualise śamatha,
Il parvient également à la clairvoyance.
Mais sans entraînement à la prajna transcendante,
Les obscurcissements ne peuvent être éliminés.

42. Par conséquent, pour abandonner tous les obscurcissements
Émotionnels et cognitifs, sans exception,
Médite continuellement sur la pratique
De la perfection de sagesse associée aux moyens habiles.

43. Sagesse dénuée de moyens habiles,
Moyens habiles dépourvus de sagesse :
Voilà deux pièges, dit-on.
Ainsi, ne rejette ni l’une, ni les autres.

44. Pour éradiquer les doutes concernant
Ce que sont la prajna et les moyens habiles,
Prenons un moment pour clarifier
Ce qui les distingue.

45. La perfection de sagesse mise à part,
Toutes les qualités vertueuses
Que sont la générosité et ainsi de suite,
Sont des moyens habiles, expliqua le Vainqueur.

46. Quiconque médite sur la sagesse
Atteindra promptement l’éveil
En cultivant les moyens habiles; à elle seule,
La méditation sur l’inexistence du soi ne suffit pas.

47. Ce qu’on appelle « sagesse » est clairement définie
Comme la compréhension de l’absence d’existence inhérente –
La réalisation que les agrégats, les éléments
Et les sphères sensorielles sont non produits.

48. Logiquement, une chose existante ne peut être produite,
Pas plus qu’une chose inexistante, telle une fleur dans le ciel.
Et comme l’idée qu’une chose puisse être et l’une et l’autre
Cumulerait les failles logiques, elle ne s’applique pas non plus.

49. Aucune entité n’est produite à partir d’elle-même,
Ni à partir d’autre chose, ni des deux à la fois,
Ni sans causes. Par conséquent,
Aucune entité n’a de nature propre.

50. Par ailleurs, on peut analyser les phénomènes
Pour voir s’ils sont singuliers ou multiples :
Jamais on ne parvient à trouver de nature propre.
Ainsi détermine-t-on qu’ils en sont dépourvus.

51. La logique articulée dans Les Soixante-dix versets sur la vacuité[6],
Les Stances fondamentales de la Voie Médiane[7], etc.,
Prouve clairement
Que la nature de toute chose est vacuité.

52. Craignant de trop allonger ce texte,
Je ne donne pas plus de détails pour l’instant.
Je me suis contenté de résumer
Les conclusions avérées pour faciliter la méditation.

53. Ainsi, toute méditation sur l’absence de soi
Au cours de laquelle on n’observe pas de nature propre
Dans quelque phénomène que ce soit,
C’est cela, la méditation cultivant la prajna.

54. En outre, puisque la prajna ne perçoit
Aucune nature propre dans le moindre phénomène,
Prends la sagesse elle-même comme objet d’analyse,
Et médite, libre de tout concept.

55. La nature de cette existence
Née de la conceptualisation, est conceptualisation;
Abandonner entièrement la conceptualisation
Est donc le suprême nirvāṇa.

56. C’est pourquoi le Bhagavān a dit :
« La conceptualisation – la grande ignorance –
Nous plonge dans l’océan du saṃsāra.
Quand on demeure dans le samādhi dénué de concepts,
La non-conceptualité devient limpide comme le ciel. »

57. De même, dans La Dhāraṇī de l’Entrée dans la non-conceptualité[8] :
« Si les héritiers des Vainqueurs
Contemplent, sans concepts, ce noble Dharma,
Ils transcenderont la conceptualisation, si difficile à surpasser,
Et atteindront en bout de ligne l’état de non-conceptualité. »

58. Grâce aux sources scripturaires et à force de raisonnement,
Une fois atteinte la certitude que tous les phénomènes
Sont non produits et dénués de nature propre,
Médite sans conceptualiser.

59. Avec le temps, la méditation sur l’ainsité
Suscitera la chaleur et d’autres signes;
Tu atteindras la terre appelée « Joyeuse » et d’autres bhūmis;
Alors, la bouddhéité ne sera plus bien loin.

60. Si tu souhaites parfaire facilement
Les accumulations menant à l’éveil
Par la pacification, l’enrichissement et les autres
Activités issues du pouvoir des mantras,

61. Grâce au pouvoir des huit grands accomplissements,
À l’« excellent vase » et ainsi de suite –
Si tu souhaites entreprendre la pratique des Mantras secrets
Telle qu’enseignée dans les tantras de l’action, de la conduite, etc.,

62. Alors, pour recevoir l’initiation d’un maître de vajra,
Tu dois servir l’enseignant spirituel,
Le vénérer, faire de riches offrandes,
Et t’efforcer de lui obéir en tout point.

63. Quand un guru satisfait conférera
L’intégralité de l’initiation du maître de vajra,
Tes méfaits seront entièrement purifiés,
Et tu auras la chance d’accomplir les siddhis.

64. Le Grand Tantra du Bouddha Primordial[9]
Est toutefois sans équivoque :
Ceux qui observent le célibat ne devraient jamais
Recevoir l’initiation secrète et l’initiation de la prajna[10].

65. Si ceux qui pratiquent le célibat et l’ascèse
Recevaient ces initiations
Et faisaient ce qui leur est interdit,
Leurs vœux de discipline en seraient détériorés.

66. Cela causerait une chute,
Une défaite pour les yogins.
Ils dégringoleraient vers les domaines inférieurs,
Et les accomplissements leur échapperaient.

67. Pour ceux qui ont reçu l’initiation du maître
Et qui connaissent l’ainsité, il n’y a pas de faute
Au fait de recevoir ou d’enseigner n’importe quel tantra,
De faire des pūjās de feu, des offrandes, et ainsi de suite.

68. À l’insistance de Tchangchoup Ö,
Moi, l’aîné Dīpaṃkara Śrī, j’ai présenté
De façon concise la Voie vers l’Éveil,
Telle que je l’ai vue présentée dans les sūtras
Et d’autres enseignements du Dharma.

Ceci conclut La Lampe pour la Voie de l’Éveil, composée par le grand maître Dīpaṃkara Śrījñāna. Le texte fut traduit et finalisé par le grand abbé indien lui-même et par le grand traducteur et réviseur Guéwé Lodrö. Cet enseignement fut composé au temple Toling, dans la région de Shang Shoung.

| Traduit en français par Vincent Thibault (2022) sur la base de la traduction anglaise de Patrick Dowd (2021). Les traductions de Dr. Alexander Berzin et de Khenpo David Karma Choephel ont également été consultées.


Source : a ti sha. "byang chub lam gyi sgron ma/." In bstan 'gyur/ (dpe bsdur ma). Beijing: krung go'i bod rig pa'i dpe skrun khang, 1994–2008. (BDRC W1PD95844) Vol. 64: 1678–1686.


Version : 1.0-20220830


  1. Le Gaṇḍavyūha Sūtra, ou སྡོང་པོ་བཀོད་པ།, est en fait une section du volumineux Avataṃsakasūtra, (« Sūtra de l’ornementation fleurie des bouddhas »).  ↩

  2. Vīradatta­-gṛhapati-­paripṛcchā, ou འཕགས་པ་ཁྱིམ་བདག་དཔས་བྱིན་གྱིས་ཞུས་པ་ཞེས་བྱ་བ་ཐེག་པ་ཆེན་པོའི་མདོ། (Toh 72), versets 1.84 à 1.86. Pour une traduction anglaise : https://read.84000.co/translation/toh72.html.  ↩

  3. Mañjuśrībuddhakṣetraguṇavyūha, ou འཇམ་དཔལ་གྱི་སངས་རྒྱས་ཀྱི་ཞིང་གི་ཡོན་ཏན་བཀོད་པ། (Toh 59). Voir les versets 1.204 et suivants. Pour une traduction anglaise : https://read.84000.co/translation/toh59.html.  ↩

  4. Le traducteur anglais utilise le terme higher knowledges, au pluriel. Pour fins de comparaison : Alexander Berzin parle d’advanced awareness. Notre choix s’aligne sur celui de Khenpo David Karma Choephel dans sa traduction du texte racine accompagné d’un commentaire de Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé, dans lequel on évoque des capacités d’acuité bien spéciales, permettant par exemple aux bodhisattvas de comprendre les besoins des êtres et d’interagir avec eux de façon optimale. Toutefois, le même commentaire mentionne que c’est là une image et qu’Atiśa lui-même précise ailleurs que le but de śamatha est de parvenir à la vision pénétrante.  ↩

  5. Probablement une référence au Samādhisambhāraparivarta, ou ཏིང་ངེ་འཛིན་གྱི་ཚོགས་ཀྱི་ལེའུ། (Toh 3924 ou 3925 ?). Dans sa traduction du commentaire de Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé, Khenpo David Karma Choephel donne cette référence : Tract on the Requisites for Samadhi (Skt. Samādhi sambhāra parivarta nāma, T : ting nge ‘dzin gyi tshogs kyi le’u zhes bya ba), Byang chub bzang po, Ācarya. Tengyur, dbu ma ki pa, 71b–91a.  ↩

  6. Un shastra de Nagarjuna (S : Śūnyatāsaptatikārikā ; T : སྟོང་ཉིད་བདུན་བཅུ་པ་). Une version anglaise présentée par David Ross Komito est parue aux éditions Snow Lion sous le titre Nagarjuna’s Seventy Stanzas: A Buddhist Psychology of Emptiness. Une traduction française serait parue en 2001 aux éditions Kunchab, mais nous n’avons pu la consulter.  ↩

  7. Célèbre traité de Nagarjuna (S : Prajñā-nāma-mūlamadhyamakakārikā ; T : དབུ་མ་རྩ་བ་ཤེས་རབ།). Parmi les traductions françaises, on compte celle du Comité de traduction Padmakara, dont nous avons retenu le titre.  ↩

  8. Un court sūtra du Mahāyāna (S : Avikalpapraveśadhāraṇī ; T : འཕགས་པ་རྣམ་པར་མི་རྟོག་པར་འཇུག་པ་ཞེས་བྱ་བའི་གཟུངས།, Toh 142). Pour une traduction anglaise : https://read.84000.co/translation/toh142.html .  ↩

  9. Selon Dr. Berzin, il s’agit là d’une référence au Kalachakra Tantra qu’Atiśa a étudié à Sumatra, en Indonésie.  ↩

  10. Dr. Berzin précise : de façon littérale. Nous laissons aux lecteurs intéressés le soin de vérifier les nuances auprès d’un enseignant qualifié.  ↩

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