L’histoire de Bhikṣuṇī Huiyao
L’histoire de Bhikṣuṇī Huiyao
extraite du Grand trésor dharmique des ḍākinī
L’histoire de Bhikṣuṇī Huiyao (慧耀) représente le premier récit d’une nonne chinoise s’étant auto-immolée et ayant laissé des reliques. Elle vécut au cinquième siècle[1] et fut ordonnée bhikṣuṇī au couvent Yong Kang[2] dans l’actuelle province du Sichuan[3]. Son patronyme était Zhou[4], et sa famille venait de Xiping[5].
Dès son plus jeune âge, elle ressentit un grand renoncement, doublé d’une dévotion ardente envers les Trois Joyaux, et elle se montra assidue dans sa pratique du saint Dharma. En outre, elle formulait sans cesse le vœu d’offrir son corps aux Trois Joyaux.
Un jour, elle entama des préparatifs en vue de s’immoler, et quelqu’un le rapporta au chef du gouvernement local[6]. Le gouverneur en question n’en crut pas un mot et se contenta d’ironiser que quiconque n’avait pas envie de vivre pouvait bien mourir.
Quand l’histoire parvint aux oreilles d’une noble de la région, une certaine Madame Wang (王), celle-ci en fut inspirée. Elle fit parvenir un message à la bhikṣuṇī, en lui offrant même de l’argent pour construire un stupa. Elle proposa aussi de parrainer, avec sa famille, l’immolation, la nuit de la pleine lune du douzième mois[7]. Bhikṣuṇī Huiyao accepta.
Toutefois, quand le gouverneur en eut vent et comprit que la rumeur était fondée, il craignit d’être puni par les instances supérieures. Il envoya donc un message au couvent[8], déclarant que si Bhikṣuṇī Huiyao s’y suicidait, le couvent subirait de graves sanctions. La nonne n’eut alors d’autre choix que de renoncer à son plan de s’immoler en public[9].
Un jour, en 477, sur un terrain dégagé du couvent, elle s’enveloppa dans des couvertures de laine et, en privé, elle y mit le feu. Quand les flammes atteignirent son visage, elle s’adressa à ses consœurs : « Prenez soin de mes restes. Conservez-les dans un vase en argent, une tasse à mesurer, ou ce que vous trouverez. » Sur ce, elle rendit son dernier souffle[10].
Il s’avère que deux mois plus tôt, un beau garçon qu’on ne connaissait pas lui était apparu. « Ma tante, dit-il, c’est pour vous. » Il lui tendit un vase en argent avant de disparaître. La totalité des cendres et des restes de la bhikṣuṇī, qui s’étaient transformés en reliques, remplirent le vase très précisément à ras bord. Tous ceux et celles qui le virent furent émerveillés, inspirés et remplis de foi[11].
Traduit en tibétain, à partir de sources chinoises, par Khenmo Dawa Drolma.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2025) sur la base de la traduction anglaise de Joseph McClellan (2025).
Bibliographie
Benn, James A. Burning for the Buddha: Self-Immolation in Chinese Buddhism. Honolulu: University of Hawai'i Press, 2007.
mkhan mo zla ba sgrol ma, trans. “dge slong ma he ya.” (2017). In mkhaʼ ʼgroʼi chos mdzod chen mo (Par gzhi dang poʼi par thengs dang po, Vol. 8, pp. 309–310). Bod ljongs bod yig dpe rnying dpe skrun khang. BDRC MW3CN2459_990B84
Tsai, Kathryn Ann, trans. Lives of the Nuns: Biographies of Chinese Buddhist Nuns from the Fourth to Sixth Centuries. Honolulu: University of Hawai'i Press, 1994.
Version : 1.0-20250818
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Le texte source donne une période dynastique confuse, lhor thang rgyal rabs kyis skabs su, qui semble faire référence aux Tang du Sud (937–975). On pourrait aussi lire : « au sud, pendant la dynastie Tang » (618–907). Néanmoins, un peu plus loin, on dit que Bhikṣuṇī Huiyao est décédée en 477, ce qui coïnciderait plutôt avec la période de fragmentation dite des dynasties du Nord et du Sud (386–589). Plus précisément, il s’agirait probablement de la dynastie Liu-Song (劉宋 420–479), dont les frontières se trouvaient proches de l’actuelle province du Sichuan, où la bhikṣuṇī aurait vécu. Benn (43, 204) et Tsai (65) estiment que ce serait plus exactement pendant le règne du t’ai-shih ou Taishi (泰始, 465–471), une subdivision de la dynastie Liu-Song. ↩
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yong khang. Possiblement 永康 en chinois, ce qui se traduit par « Couvent de la quiétude éternelle » (Tsai, 65). ↩
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Dans les versions présentées par Benn (204) et Tsai (65), on précise que le lieu serait Shu (蜀), au Sichuan. Shu se trouve en amont de Chengdu, la capitale. ↩
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kros en tibétain, 周 en chinois. ↩
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shes phen ; 西平县 (Benn, 204; Tsai, 65), probablement dans la province du Henan. ↩
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Selon Tsai (65) et Benn (43, 204), le gouverneur serait Liu Liang (décédé en 472). ↩
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zla ba bcu gnyis pa'i gnam gang gyi mtshan mo. Dans les versions de Tsai et de Benn, la date serait celle de « la nuit de la pleine lune du quinzième jour du premier mois [la fête des lanternes] » (Tsai, 65 ; Benn, 43, 204). ↩
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Au tout début du texte, le nom du couvent est yong khang. Ici, il est inexplicablement orthographié yong an. ↩
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La version de Tsai raconte cet événement de la façon suivante :
[Hui-yao] parla de son projet avec le gouverneur Liu Liang (décédé en 472), qui lui accorda initialement sa permission. Elle demanda à pouvoir s’auto-immoler sur le toit d’une pagode en tuiles appartenant à Madame Wang, concubine d’un certain Chao Ch’u-ssu. Madame Wang approuva. La nuit de pleine lune du quinzième jour du premier mois [le jour de la fête des lanternes], Hui-yao, les mains chargées d’huile et de tissu, mena ses disciples à la pagode. Elles n’avaient pas terminé les préparatifs qu’une lettre de Liu Liang leur parvint. « Si Hui-yao réussit son projet de s’immoler en guise d’offrande, expliqua-t-il aux nonnes, le Couvent de la quiétude éternelle commettra une infraction grave. » Hui-yao n’eut d’autre choix que de cesser ses préparatifs.
Voir aussi Benn, 43. ↩
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La version de Tsai comprend de nombreux détails supplémentaires :
Madame Wang, furieuse, s’exclama : « Cette nonne cherchait visiblement la gloire et le profit. Elle nous a trompés en s’adonnant à un comportement inhabituel et en soudoyant ses complices… Autrement, comment quiconque aurait pu en avoir vent – en plein milieu de la nuit, qui plus est ? »
Hui-yao [répondit à l’accusation] : « Madame, ne cédez pas à la confusion. Mon seul objectif est d’abandonner mon corps. Comment les autres ont-ils pu le savoir ? » Elle retourna alors au couvent, où elle cessa de manger des céréales, se contentant de consommer des huiles parfumées [tel que le décrit le chapitre du Sūtra du Lotus consacré au bodhisattva Roi-de-la-médecine], jusqu’à la première année du règne de Sheng-Ming (477), au cours de laquelle elle offrit son corps par le feu, au couvent. Même quand les flammes atteignirent son visage, elle continua de chanter les écritures, sans interruption. (65)
Voir aussi Benn (43, 204). ↩
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Là encore, la version de Tsai offre plus de détails :
Un mois et quelques jours avant l’immolation de Hui-yao, un moine étranger d’environ vingt ans apparut dans la région. Bien que d’allure irréprochable, il avait des poils noirs, extrêmement fins et soyeux, qui poussaient sur ses épaules et mesuraient six ou sept pouces. Quand des gens le questionnèrent sur ce curieux phénomène, il répondit par l’intermédiaire d’un interprète : « Des poils ont poussé sur mes épaules parce que je ne les ai jamais recouvertes. »
Quoi qu’il en soit, il dit à Hui-yao, « J’habite à Varanasi [dans le centre de l’Inde], mais je suis ici depuis plusieurs jours. J’ai entendu dire que vous souhaitiez abandonner votre corps. Je veux donc vous offrir cette cruche en argent. » Hui-yao la reçut avec le plus grand respect, mais avant qu’elle puisse en savoir plus au sujet du moine, il s’en alla en toute hâte. Elle demanda à des gens de le suivre et de lui dire de revenir, mais il avait déjà franchi la porte de la cité et disparu. La cruche en argent fut utilisée pour contenir les sharīra [saintes reliques ressemblant à des perles] récupérées parmi les os de Hui-yao. Ces reliques représentaient presque le cinquième d’une pinte. (66)
Voir aussi Benn, 43–44, 204. ↩