La maison des traductions du bouddhisme tibétain
ISSN 2753-4812
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Chen Teye

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L’histoire de Chen Teye, nonne et maîtresse japonaise

extraite du Grand trésor dharmique des ḍākinī

Chen Teye était l’une des plus belles femmes du monde. De plus, sa famille était riche et influente, si bien que de nombreux prétendants puissants et réputés rivalisaient dans l’espoir de la marier. Cependant, depuis son plus jeune âge, elle ne s’était guère montrée intéressée par une vie axée sur le pouvoir et la richesse, préférant écouter de nombreux enseignants parler du bouddhadharma. Avant longtemps, un sentiment naturel de renoncement se fit jour en elle. Résolue à prendre l’ordination monastique, elle approcha plusieurs enseignants. Néanmoins, en raison de sa beauté, aucun d’entre eux ne fut à l’aise à l’idée de l’accepter comme disciple. Ils se disaient que si une aussi belle femme tentait de respecter les règles monastiques, elle rencontrerait trop d’obstacles.

Après plusieurs refus, elle sollicita l’ordination auprès de Maître Taicho[1]. Celui-ci la découragea de poursuivre le Dharma : « De tout temps, la beauté s’est avérée un obstacle à l’ordination d’une jeune femme. Je crains qu’il soit extrêmement difficile pour toi d’atteindre le but de la pratique, ce qui risquerait de semer le doute quant aux enseignements du Bouddha. Mieux vaut partir. » Ainsi refusa-t-il, lui aussi, de l’accepter comme disciple.

Cependant, son désir de devenir nonne était si puissant qu’elle s’approcha d’un feu, prit des charbons et se brûla toute la surface du visage. Complètement défigurée, elle retourna voir Maître Taicho. Abasourdi par ce qu’elle avait fait, il l’accepta comme disciple et lui accorda l’ordination. Après quoi, elle travailla pendant trente ans, puisant de l’eau, portant le bois, et cultivant des légumes pour le réfectoire du monastère.

Un soir de peine lune, en 1292, elle portait de l’eau quand, en chemin, elle décida de s’asseoir un moment pour se reposer. Elle aperçut alors le reflet de la lune qui scintillait dans l’eau du seau. Cette image l’égaya, si bien qu’elle resta là un moment à l’observer, fascinée… Soudain, la sangle qui maintenait les lattes du seau se rompit, et le seau tomba en morceaux. À l’instant précis où se dissipèrent à la fois l’eau et le reflet de la lune, Chen Teye perçut directement la nature de la réalité. Elle chanta alors ces vers spontanés :

Sans eau, nul reflet de la lune.
Pour protéger mon seau,
Je l’ai attaché comme j’ai pu,
Avec des roseaux fragiles.
Je m’attendais à ce qu’à ce toujours il perdure,
Mais soudain – le fond s’est cassé la figure.
Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de lune.
Je n’y peux rien![2]

À la suite de cette expérience, elle devint l’une des disciples les plus réputées de Maître Fo Gang[3]. Dans ses vieux jours, elle se consacra au partage des instructions de méditation et fonda le couvent Nu’e dans les Cinq montagnes de Chentö, l’un des couvents les plus estimés de l’époque[4].

Cette histoire fut traduite en tibétain, à partir de sources chinoises, par Khenmo Dawa Drolma.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2025) sur la base de la traduction anglaise de Joseph McClellan (2025).


Bibliographie

Source tibétaine

mkhan mo zla ba sgrol ma, trans. 2017. "'jar pan gyi sgom chen ma bstun ma chan ta ye." In mkhaʼ ʼgroʼi chos mdzod chen mo (Par gzhi dang poʼi par thengs dang po, Vol. 8, pp. 297–298). Bod ljongs bod yig dpe rnying dpe skrun khang. BDRC MW3CN2459_CCD881.

Source secondaire

Graham, Patricia J. 2007. Expressions of Faith. In Faith and Power in Japanese Buddhist Art, 1600–2005. Honolulu: University of Hawai’i Press.


Version : 1.0-20250819


  1. sgom chen ta co. Nous l’avons traduit par Taicho, en supposant que ce nom devait être d’origine japonaise.  ↩

  2. Le traducteur anglais proposait un paragraphe en prose, assez sobre. En français, nous avons versifié et opté pour un registre plus familier, voire comique.  ↩

  3. h+pho gang sgom chen.  ↩

  4. La traduction du dernier segment est incertaine. Dans le texte tibétain, on lit, can tos ri lnga'i jo dgon dang po nu e dgon pa gsar bkrun mdzad. Or, difficile de savoir à quoi can tos ri lnga fait référence. Dans des contextes similaires, ri lnga fait référence au Wutai Shan, montagne sacrée en Chine; mais ici, notre sujet semble se limiter au Japon. Il s’agit peut-être de la translitération d’un terme chinois, ou d’une version altérée d’un cas agentif appliqué au nom de la protagoniste (chan te ye).  ↩

Khenmo Dawa Drolma

Larung Ārya Tāre Book Association

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