Les délices de la forêt

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Longchen Rabjam

Longchen Rabjam

Les délices de la forêt

par Longchen Rabjam

En sanskrit : sāna-ānantavāti
En tibétain : nags tshal kun tu dga’ ba’i gtam

Je me prosterne devant mon maître et les Trois Joyaux !

Son corps est un bosquet paisible parsemé de fleurs,
Chatoyant dans les frais rayons lunaires de la compassion ;
C’est l’unique fortifiant pour ceux qui languissent depuis longtemps :
Je rends hommage à la forêt enchanteresse,
Que je semble apercevoir pour la première fois !

Mon cœur s’est brisé dans la cité de l’existence,
Or voilà que l’esprit adresse à l’esprit
Un chant invitant celui qui se dévoue à la voie du Dharma
À se retirer dans la forêt paisible.

Je vois qu’en vérité cette vie ne durera point, qu’elle dégringole, même ;
Je vois que je perdrai ce corps dont j’ai tant pris soin,
Et que j’aurai à partir seul, en territoire inconnu.
C’est pourquoi je m’en vais à présent dans la forêt.

Quand je suis distrait, je m’éloigne de la voie de la libération,
Ce qui ne fait que prolonger mes souffrances samsariques.
Maintenant que j’ai constaté le fléau de la pensée conceptuelle,
Je m’en vais vivre dans la paix incréée de la forêt.

Les villes animées sont des fourneaux où s’attise le désir.
Je vois maintenant que si j’attrape la peste de l’existence,
Je devrai continuer d’errer dans les abîmes du saṃsāra.
C’est pourquoi je m’en vais dès maintenant dans la forêt.

Tous les êtres dans la ronde sont accablés par les passions,
Et ligotés par les terribles chaînes de la dualité.
Or, chacun d’eux a déjà été ma mère ou mon père.
Pour les libérer, je dois aller dans la forêt.

Toutes les choses extérieures auxquelles on porte attention
Sont impermanentes et l’on ne peut jamais s’y fier.
Voyant qu’elles changent comme les nuages d’automne,
Je sais, dans mon cœur, ce que je dois faire : aller dans la forêt.

Le noble soleil du bon vieux temps s’est couché
Et la lune de la méchanceté est en pleine ascendance.
Les ténèbres des cruels māras nous cernent de toutes parts.
Je le vois bien : c’est maintenant que je dois aller dans la forêt.

Comme les gens sont difficiles à vivre !
Les bons n’inspirent personne, les mauvais ne s’arrêtent jamais.
De vraies girouettes, imprévisibles, contrariées pour un rien.
Peu importe ce que je fais, ils ne sont jamais satisfaits.
Je ne peux rester ici – je m’en vais dans la forêt.

Si je ne contrôle pas mon propre esprit,
Personne d’autre ne pourra lui faire garder le cap.
Le meilleur conseil que je puisse me donner :
Ne reste pas ici ; va-t’en dans la forêt.

Côtoyer les gens immatures obscurcit ma vertu
Et me fait assurément verser dans la négativité.
Pour m’assurer de cultiver uniquement ce qui est positif,
Et ce, à partir d’aujourd’hui, je dois aller dans la forêt.

De nos jours, quand on passe du temps avec les gens,
On peut en un clin d’œil se faire des amis,
Qui l’instant d’après s’avèrent
Aussi peu dignes de confiance que nos ennemis.
Je ne peux rester ; je m’en vais dans la forêt.

Hélas, même la lumière des enseignements du Sage
Approche des montagnes occidentales ;
Si elle vient à disparaître, on n’entendra plus
Le rugissement du vrai Dharma du Lion.
Je m’en vais donc dans la forêt.

Personne ne prête attention aux bonnes explications,
Et les mauvaises vont à l’encontre du Dharma authentique.
Puisque les gens croient que les bouddhas ont seulement enseigné
Qu’ils doivent uniquement faire ce qui leur plaît,
On me méprise comme un ennemi quand j’enseigne le chemin du Dharma ;
Et étrangement, les gens apprécient les enseignements contraires au Dharma,
Même si ça les fait dégringoler vers les domaines inférieurs.
Je n’arrive pas à me l’expliquer. Que faire ?
Voyant l’état des lieux, et souhaitant accomplir le bien des êtres,
Je ne peux rester. Je m’en vais, je m’en vais dans la forêt !

Ton corps émane la beauté de la discipline,
Tu voles grâce aux ailes des trois entraînements,
Tu plonges dans le lac aux lotus de l’étude et de la contemplation,
Qu’importe : si tu n’es pas riche, tout le monde t’ignore et t’injurie.
Les riches impies et malfaisants sont traités comme des dieux.
C’est une époque où les sots sont plus appréciés que les saints.
Voyant ces signes de dégénérescence, je m’en vais dans la forêt.

Partout où l’on pose le regard,
Des gens s’investissent dans le monde matériel ;
Ceux qui s’efforcent sur le chemin du Dharma
Sont aussi rares qu’une étoile en plein jour.
Si, ayant vu cette vérité, je souhaite accomplir le vrai Dharma,
Je ne peux m’attarder – je vais dans la forêt.

Comparés à ceux dont chaque pensée est vouée à la distraction,
Ceux qui prennent soin d’eux-mêmes en accord avec le Dharma sont rarissimes.
Les gens qui pratiquent vraiment sont brimés et négligés.
Alors, je ne peux rester – je m’en vais dans la forêt.

Même si l’on passe sa vie dans l’introspection,
Elle s’épuise si vite, filant jour et nuit sans interruption.
Je vois bien que la paresse l’emporte toujours sur la vertu,
Et que cet esprit ne parvient pas à se poser un seul instant ;
Je pars donc, dès maintenant, dans la forêt.

Comme je suis distrait par les huit préoccupations mondaines
– ravi quand on me louange, malheureux quand on m’insulte, et ainsi de suite –,
J’ai beau pratiquer la spiritualité, tout tourne autour de cette vie.
Je ne peux rester ainsi ; je m’en vais dans la forêt.

Tous les bons moments que j’ai vécus jusqu’à hier
Sont maintenant aussi irréels que les rêves de la nuit dernière.
Je m’en rappelle parfois avec un brin de douce nostalgie,
Mais, voyant qu’ils sont dénués d’essence, je m’en vais dans la forêt.

Peu importe ce que je savoure, je ne suis jamais satisfait.
Tous les plaisirs éprouvés depuis ma naissance
Reviendraient-ils qu’ils ne me contenteraient pas.
Cet esprit est intoxiqué par le désir !
Si cette voie ne procure pas même le bonheur en cette vie,
Comment pourrait-elle bien me mener au nirvāṇa,
Lequel garantit des bienfaits dans toutes les vies ?
Allons ! J’en ai assez de la voie du désir.
Courage, ô mon cœur ! On peut le faire :
Abandonnons ces désirs et allons dans la forêt.

Innombrables, les pensées qui ne m’ont rien apporté.
Il est temps, plutôt, d’observer mon propre esprit.
Pour ce faire, je m’en vais aujourd’hui dans la forêt,
Où mon cœur accédera à un bonheur durable.

Quand je serai sur mon lit de mort,
Je devrai tout laisser derrière et partir – seul.
Ce jour viendra bien assez tôt, aucun doute là-dessus.
Sans attendre, je m’en vais dans la forêt.

En cette époque affreusement décadente,
Quelqu’un comme moi aurait beau enseigner
Que les autres n’en profiteraient pas vraiment.
Puisque j’aspire à être utile aux générations futures,
Je ne peux rester – je m’en vais méditer dans la forêt.

Ô, mon esprit : abandonne les préoccupations
Qui ne sont utiles ni à toi-même ni à autrui.
Tu dois dès aujourd’hui te retirer dans la forêt
Pour méditer sur la nature de l’esprit.
Tu en retireras un bienfait indéniable.

Naturellement, je prie du fond du cœur
Pour que vienne le temps où je pourrai
Combler les besoins de myriades d’êtres,
Sans penser à moi-même un seul instant.
Dans l’intervalle, si je n’ai qu’une pensée, la voici :
N’attends pas, mon cœur – va tout de suite méditer dans la forêt.

Pour encourager mes inférieurs à écouter,
Et surtout pour préserver le bouddhadharma,
Je veillerai surtout à partager les enseignements essentiels.
Cela contribuera à la diffusion de la doctrine du Sage
Et fera s’épanouir l’intelligence dans mon propre esprit.

Tout ce à quoi je pense est impermanent et dénué de sens.
Même les meilleures choses conditionnées sont vouées à la destruction.
Maintenant que je comprends ce qu’il en est,
Je vais chercher l’esprit sacré qui ne trompe point –
La vérité essentielle et indestructible.

Tous les enseignements que le Sage a donnés
Visent l’abandon des désirs
Et le repos méditatif[1] dans la vérité paisible – rien d’autre.
Ô, mon esprit : contemple ta mortalité
Et résous-toi à t’en aller dans la forêt.

La forêt est universellement louée par les vainqueurs.
Ils encouragent ceux qui ont peu de désirs
Et qui savourent la richesse du contentement
À aller vivre dans les bois.

Désormais, alors que prolifèrent les pensées instables,
Il est primordial de se tourner vers l’intérieur et de poser l’esprit.
Entouré de distractions, il se projette vers toutes sortes d’objets,
Incapable de se tenir tranquille un seul instant.
Même quand il est bien protégé, il suit compulsivement les émotions.
Voilà pourquoi je ne peux rester. Je m’en vais méditer dans la forêt.

Comprendre intellectuellement la nature des phénomènes
Et n’en faire que de simples souvenirs – cela ne sert à rien.
Pour parvenir à une expérience intime de la vraie nature des choses,
Il est nécessaire d’aller dès maintenant dans la forêt[2].

Les bois impliquent naturellement peu de distractions et d’obligations,
Et sont libres de la souffrance occasionnée par l’anxiété et l’adversité.
Donc, aujourd’hui, réjouis-toi d’aller dans la forêt paisible,
Qui surpasse de loin les plaisirs des cités des domaines supérieurs.

Écoute, mon cher esprit ! Considère les qualités de la forêt :

De précieux arbres dignes d’être offerts aux vainqueurs
Abondent ici, leurs branches chargées de fruits ;
Les fleurs parfumées s’épanouissent, les feuilles ondulent
Dans la brise, et la brume même rappelle l’encens.

Ruisseaux et cascades évoquent un doux roulement de tambour.
Les collines baignent dans de frais rayons de lune,
Leurs flancs enlacés par d’épais et généreux nuages ;
Et tout en haut, les constellations resplendissent.

Des troupeaux d’oies survolent des lacs odoriférants,
Tandis que déambulent d’autres oiseaux, des cerfs, des biches.
Les abeilles bourdonnent harmonieusement parmi les lotus,
Les fleurs d’utpala et les arbres qui exaucent les souhaits.

Les arbres oscillent – ils dansent –
Et la pointe de leurs branches s’incline
Comme pour accueillir les invités :
« Soyez les bienvenus ! », croit-on entendre.

Des étangs purs et frais se couvrent de lotus en fleurs,
Comme autant de visages clairs et souriants.
Tout autour : de jolis bosquets, des profusions de pétales,
Des prés verdoyants sur lesquels se pose la robe du ciel.
La nuit, par temps clair, les étoiles offrent un spectacle radieux :
On dirait des dieux s’amusant dans un jardin céleste.

Le coucou chante sa mélodie enivrante,
Les fleurs ondoient dans la brise saisonnière,
Un doux grondement de tonnerre[3] évoque
Un éléphant qui barrit joyeusement dans les nuages…
Ah ! Ces gouttes de pluie qui apportent la fraîcheur !

Les quatre saisons durant,
On peut savourer sans culpabilité
Abondance de fruits, feuilles et racines.

Dans la forêt où il n’y a personne pour dire des choses déplaisantes,
Les émotions perturbatrices s’apaisent naturellement.
Dans la forêt, loin des villes affairées,
La quiétude méditative augmente naturellement.
Dans la forêt, on apprivoise l’esprit qui se conforme au vrai Dharma,
Et l’on peut trouver la félicité de la paix intérieure.

En bref, les charmes de la forêt sont innombrables.
Voudrait-on essayer d’en exprimer toutes les qualités,
Qu’on n’aurait pas assez d’une ère cosmique.

C’est dans la forêt que les vainqueurs des trois temps
Atteignent l’éveil – jamais dans les villes et régions frénétiques.

Le mérite obtenu en offrant des fleurs et de l’encens à tous les bouddhas
Pendant autant d’époques qu’il y a de grains de sable dans le Gange
Ne peut se comparer aux bienfaits générés
En faisant sept pas en direction d’un lieu de retraite
Tout en gardant à l’esprit les qualités de la forêt.
Je vous encourage donc à contempler ces qualités
Qui sont détaillées dans le Candrapradīpa Sūtra[4].

Une fois sur place, on peut vivre près des grottes et falaises,
Dans des zones riches en herbes médicinales, parmi les fleurs et les arbres,
Ou dans une chaumière, un abri de paille et de feuillage.
On se satisfait de l’essentiel, simplement –
De l’eau, du bois, des fruits et autres choses indispensables –
Et l’on est libre de se consacrer jour et nuit à ce qui est bénéfique.

Dans les bois, inspiré par le changement de couleur des feuilles,
On réalise avec certitude que beauté, santé et aptitudes variées
Changent toutes graduellement et sont dénuées de consistance.
C’est ce qu’on appelle « la diminution des avoirs ».

Dans les bois, en voyant les arbres perdre leurs feuilles,
On parvient à la certitude que les amis, les anonymes,
Et même [les composantes du] corps, sont tels
Qu’ils se séparent, même s’ils sont unis pour l’instant.
C’est ce qu’on appelle « la réalité de la perte ».

Dans les bois, inspiré par l’étang qui perd ses fleurs de lotus,
On réalise avec certitude que toutes les richesses,
Les possessions, les objets sensoriels,
Sont en définitive impermanents, dénués d’essence.
C’est ce qu’on appelle « l’épuisement de ce qu’on a accumulé ».

Dans les bois, en contemplant la succession des mois et saisons,
On parvient à la certitude que même ce corps,
Telle une fleur qui éclot à la fin du printemps,
Change au fil du temps, sa jeunesse s’évanouissant.
C’est ce qu’on appelle « l’arrivée du Seigneur de la Mort ».

Dans les bois, inspiré par le mûrissement et la chute des fruits
On réalise avec certitude que la jeunesse,
La fleur de l’âge et la vieillesse n’en sont guère différentes,
Et que le moment de la mort est incertain.
En somme : « ce qui est né ne manquera pas de mourir ».

Dans les bois, en contemplant les reflets dans l’eau,
On parvient encore à une autre certitude :
Les phénomènes, aussi divers soient-ils, ont beau apparaître,
Ils sont dépourvus de nature inhérente,
Comme des illusions, des mirages,
Ou le reflet de la lune sur un lac.
On dit donc qu’ils sont « vides d’existence véritable ».

Ayant ainsi intégré la nature de toute chose,
Tiens-toi droit, sur un siège confortable, le corps à l’aise,
Et cultive la bodhicitta, en considérant les besoins des êtres.

Ne ressasse pas le passé, n’anticipe pas l’avenir ;
N’essaie pas de manipuler la présence naturelle.
Laisse simplement l’esprit se déposer,
Sans projet, ni repli sur soi, ni distraction.
Demeure libre de saisie, sans structurer conceptuellement
Cette clarté ouverte, vide, vive, paisible, lucide, lumineuse.
C’est l’esprit de sagesse des bouddhas des trois temps.

Repose de façon détendue
Dans l’expérience innée de la nature de l’esprit –
À part ça, tu n’as rien d’autre à contempler.
Relâche tout effort de pensée,
Car il ne s’agit pas d’un objet fabriqué ;
On ne peut le conceptualiser ou l’analyser :
C’est l’esprit de sagesse de tous les bouddhas.

Donc, pour te libérer de l’écheveau des pensées,
Tu n’as qu’une chose à faire :
Observer la nature de l’esprit absolument paisible.

À la fin de la séance, procède à une dédicace sans réifier les trois sphères.

Entre les séances,
Contemple l’impermanence et la mort.
Vois que les choses conditionnées n’ont pas d’essence
Et qu’elles regorgent de problèmes.
Considère de la sorte la nature du saṃsāra.
Quand tu as réalisé que le jeu des apparences extérieures
Est comparable à un rêve ou à une illusion,
Laisse tout reposer dans l’égalité de la dimension de l’espace.

N’affirme et ne rejette rien ;
Cesse d’essayer de manipuler ton expérience.
Si tu vis de cette façon, tout ce qui surviendra
Pourra révéler la nature de l’esprit, non née et incessante –
Ta nature innée, telle quelle.

De même, la nuit, quand tu t’apprêtes à dormir,
Relâche ton esprit dans une expérience libre de fabrication conceptuelle,
Au sein de la réalité de sa nature non née.

Au réveil, quand poignent les apparences,
Considère encore et encore
Qu’elles sont par nature ineffables, comme des illusions.

Quand tu auras vu ce précieux trésor, l’essence de l’esprit
Qui n’a nul besoin qu’on y ajoute ou qu’on en retranche quoi que ce soit,
Tu traverseras le douloureux océan de l’existence,
Jusqu’à l’expérience pure et simple de ce qui est éternellement paisible
Et n’implique aucune souffrance –
Tu seras alors parvenu à l’état d’éveil sans borne.

D’ici là, considère le déploiement magique des concepts
Comme une auto-manifestation naturelle,
Dans l’essence de ce qui survient, sans t’y cramponner.
En essence, les pensées qui s’élèvent sont le déploiement du dharmakāya.

Au quotidien – quand tu marches, et ainsi de suite –,
Pense « Puissé-je guider ces êtres ;
Puissé-je être leur protecteur, leur refuge, leur ami. »
Une fois que tu as adopté fermement la pensée de l’éveil,
Rappelle-toi de tendre vers une conduite pure.
Nul besoin de penser à quoi que ce soit en dehors du bien des êtres.
C’est l’arbre miraculeux de la compassion,
Dont les bourgeons donnent les vainqueurs omniscients,
Qui surpassent les śrāvakas et pratyekabuddhas.

C’est un lac immense doté de qualités innombrables,
D’où émane la lumière d’une compassion inconcevable –
La merveilleuse source du joyau qu’est la bouddhéité parfaite.

Rien ne saurait être aussi prodigieux.
J’encourage donc les sages parmi vous
À aller une fois pour toutes méditer dans la forêt
Pour accomplir l’éveil sublime et paisible.

Si on ne pratique pas le Dharma dès maintenant,
Qui sait dans quelle direction on finira par aller ?
Il sera si difficile de retrouver le chemin du Dharma !
Dans de telles circonstances, on est impuissant.
C’est donc maintenant, alors que j’en ai la chance,
Que je dois m’appliquer assidûment au Dharma.

Nulle garantie d’être encore en vie ce soir, ou demain.
On ne peut être certain de rien ;
Le Seigneur de la Mort gagne sans cesse du terrain,
Et je n’ai pas la capacité de le renvoyer.
Allons, allons vite méditer dans la forêt !

Quand la mort se produira,
Richesses, parents et amis ne seront d’aucune aide.
Un vrai pratiquant n’aura cependant rien à craindre.
N’attendons pas ; précipitons-nous dans la forêt.

Avant longtemps, tout le monde, toute chose, moi-même,
Tout disparaîtra ; ça ne fait aucun doute.
Donc, pour accomplir le Dharma, sans tarder,
Je m’en vais résolument vivre dans la forêt.

Ceux qui incarnent une éthique irréprochable
Et dont la vie est marquée par de vastes études,
Une bonne méditation, l’immersion dans les bois
Et l’expérience de la vertu –
Ceux-là découvriront intrépidement
Une grande joie au moment de la mort.

La cause de leur joie ? Précisément la vie dans les bois.
C’est pourquoi je m’en vais y méditer.
Impossible de savoir quand surviendra le moment fatidique !
Au seuil de la mort, je n’aurai d’autre protection que le Dharma.
Le Dharma est mon protecteur, ma demeure, mon ami.
Il m’indique le chemin du noble manoir des domaines supérieurs.

Alors, esprit : rappelle-toi que la mort s’en vient !
Tu dois aller vivre en forêt pour l’amour du Dharma.

Mon esprit s’est envoyé ce message à lui-même.
Si tu écoutes, esprit, tu es chanceux et c’est de bon augure dans le Dharma.
Ces mots pour toi composés viennent du fond du cœur.
Prends-les, prends-les et va dans la forêt.

Ce chant célébrant les délices de la nature
Fut écrit par un homme de Samyé
Dont l’esprit empreint de renoncement aspire à la libération,
Sur le plus haut pic montagneux du Repos dans la nature de l’esprit,
Pour s’encourager chaleureusement à aller dans la forêt.

Grâce à la vertu qui en résulte,
Puissent tous les êtres extraire leur esprit de la cité du saṃsāra,
Et s’affranchir simultanément
Dans la forêt enchanteresse de la libération omnisciente.

Ce chant intitulé Les délices de la forêt fut écrit par Ngagi Wangpo (Longchen Rabjam), le poète instruit du monastère de Samyé, sur le plus haut pic de la montagne, quand surgit en lui une grande lassitude à l’égard de la demeure saṃsārique.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Timothy Hinkle (2016). La version de Kyabjé Thinley Norbu Rinpoché publiée dans Sunlight Speech That Dispels the Darkness of Doubt (Shambhala Publications, 2015), intitulée « Always Rejoicing in the Forest », a également été consultée avec profit.

Note du traducteur vers l’anglais : Cette traduction est offerte gracieusement pour inspirer les yogins et yoginis qui méditent en forêt, partout dans le monde. Puisse-t-elle ravir celles et ceux qui aspirent à s’éveiller dans la simplicité de la nature.


Bibliographie

Édition tibétaine

dri med 'od zer. "nags tshal kun tu dga' ba'i gtam/" in gsung thor bu/_dri med 'od zer/(sde dge par ma/). 2 vols. Paro, Bhoutan : Lama Ngodrup et Sherab Drimey, 1982. Vol. 1 : 118–127


Version: 1.0-20230119


  1. En tibétain : mnyam bzhag (nyam-zhag), parfois traduit par « équilibre méditatif » ou « équanimité méditative ».  ↩

  2. La traduction de Thinley Norbu Rinpoché parue dans Sunlight Speech That Dispels the Darkness of Doubt apporte un autre éclairage. Le premier vers pourrait se lire ainsi : « Même si l’on comprend les enseignements dotés de caractéristiques », et l’avant-dernier, « Pour faire l’expérience des qualités des enseignements dans notre esprit ».  ↩

  3. Le texte de base n’est pas explicite (« L’éléphant des nuages »). L’explicitation nous est inspirée d’une note dans la traduction de Thinley Norbu.  ↩

  4. En tibétain : zla ba sgron me'i mdo. Ce sūtra est aussi connu sous le nom de Samādhirāja Sūtra (Toh 127). Peter Alan Roberts en a publié une traduction : https://read.84000.co/translation/UT22084-055-001.html.  ↩

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