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ISSN 2753-4812
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Explication des huit nobles favorables

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Introduction du traducteur

Il est difficile d’exagérer l’importance des Strophes des huit nobles favorables de Jamgön Mipham Rinpoché. En effet, ce court texte figure dans de nombreux livrets de prières, il est récité couramment par les adeptes de toutes les écoles du bouddhisme tibétain, et il est réputé pour son efficacité à invoquer les conditions favorables et donc à veiller au succès des démarches spirituelles et mondaines. Pourtant, à notre connaissance, il n’en existe aucun commentaire écrit en tibétain, en dehors de la présente Explication des « huit nobles favorables », de Mipham Rinpoché lui-même. Cet auto-commentaire figure avec le texte-racine au tout début des œuvres intégrales de l’auteur, lesquelles comptent 32 volumes – de bons augures ouvrant les écrits, fort diversifiés, du célèbre maître et polymathe.

On apprend d’entrée de jeu que cette explication fut écrite sous forme de lettre à l’attention d’une personne non identifiée qui a probablement demandé un enseignement sur les Strophes. Mipham commence par solliciter l’indulgence de son correspondant, une maladie chronique l’empêchant d’offrir des explications exhaustives. Si ces lignes témoignent de la compassion infatigable de Mipham Rinpoché, elles nous donnent également une idée du contexte historique, à propos duquel le texte ne contient guère d’autres indices.

Les Strophes sont basées sur un sūtra éponyme, Les huit bouddhas favorables (Maṅgalāṣṭaka). Dans son Explication, Mipham résume des passages de ce sūtra : le Bouddha y enseigne les noms de huit bouddhas et conseille notamment à Śakra de les réciter avant un combat contre les asuras. La récitation s’avère décisive et mène Śakra et les autres dévas à la victoire. À première vue, Mipham semble citer directement le sūtra. Toutefois, et peut-être parce qu’il écrit de mémoire, il s’agit le plus souvent de paraphrases. Par ailleurs, Mipham dit qu’il a simplement agencé les noms des huit bouddhas en vers métriques pour faciliter la récitation. Cela suggère qu’on ne doit pas aborder cette prière comme la composition d’un être ordinaire – une nuance importante, sachant que la littérature bouddhiste a tendance à se méfier de l’innovation doctrinale –, mais qu’il s’agit en fait des paroles du Bouddha, tout bonnement transposées en vers. Mipham a toutefois développé au-delà des huit bouddhas, pour inclure trois autres ensembles de huit figures : les huit bodhisattvas masculins, les huit déesses de bon augure (ou huit bodhisattvas féminins) et les huit gardiens du monde.

Le commentaire vise surtout à présenter les membres de ces quatre groupes de huit et à résumer les immenses bienfaits qui leur sont associés. Les effets bénéfiques de l’invocation de leurs noms ne sortent d’ailleurs pas de nulle part : en effet, Mipham mentionne à plusieurs reprises qu’ils proviennent des sūtra et tantras. Il souligne aussi que bien que ces êtres éveillés apparaissent sous divers aspects, ils sont ultimement d’une seule et unique essence éveillée. De plus, il insiste sur les aspirations antérieures de ces bouddhas qui possèdent d’inconcevables qualités, ce qui nous rappelle que la prière n’agit pas par magie, mais en connectant le pratiquant à ces bouddhas. Compte tenu de la brièveté de ce texte, Mipham renvoie le lecteur à deux de ses compositions plus longues et traitant de sujets apparentés : Les noms des cent mille bouddhas et Un collier de joyaux : Les actes splendides des huit fils proches.

Puisque les Strophes furent écrites le 18 avril 1896 et que l’Explication est leur est forcément ultérieure, on peut supposer que ce commentaire fut composé assez tard dans la vie de l’auteur, supposition corroborée par son état de santé[1]. Toutefois, au-delà de ces quelques pistes, on ne sait trop quand et dans quelles circonstances ce commentaire fut composé.


Version 1.0 : 20251112


  1. Dans son dernier testament, Mipham Rinpoché a écrit que cela faisait dix-sept ans qu’il était atteint d’une grave affection des canaux énergétiques internes. Voir Dudjom Rinpoche, The Nyingma School of Tibetan Buddhism, p. 878.  ↩

Une explication des « Huit nobles favorables »

par Mipham Rinpoché

Namo ārya mañjuśriye !

Ma récente maladie persiste, ce qui limite ma capacité à écrire et à entreprendre diverses activités. Veuillez donc m’excuser si je suis incapable de décrire de façon adéquate et détaillée les bienfaits des « Huit nobles favorables ».

En somme, Le Noble Sūtra intitulé « Les huit bouddhas favorables » raconte comment un jeune Licchavi appelé Habileté Supérieure a demandé un enseignement au Bienheureux. Le jeune homme s’exprima ainsi : « Plusieurs bouddhas demeurent dans l’accomplissement de leurs aspirations antérieures. Quiconque entend leurs noms ne sera jamais menacé ou blessé par des humains ou des non-humains. Tout ce que [cette personne] dira ne sera jamais rejeté ou renversé. Quiconque retient les noms [de ces bouddhas] ne fera jamais de cauchemars. Cette personne ne sera jamais touchée par une arme au combat ; au contraire, elle en sera épargnée. Je vous prie d’enseigner les noms de ces bouddhas. »

Le Bienheureux enseigna alors les noms de ces huit bouddhas qui demeurent dans des systèmes de mondes à l’est (celui qu’on appelle « Le Fameux », et d’autres systèmes encore). Il faut aborder chacun de ces noms dans l’optique de cette phrase : « Devant le Bienheureux, l’Ainsi-Allé, le bouddha vénérable et parfaitement éveillé Pradīparāja, je rends hommage, je présente des offrandes et je prends refuge[1] », et ainsi de suite. La seule différence est qu’ici, j’ai agencé les noms en vers métriques.

Les huit bouddhas

Le sūtra dit qu’on devrait retenir et maîtriser les noms des bouddhas. Puisque ces bouddhas sont pourvus de qualités inconcevables, que leurs domaines sont dénués des cinq types de dégradations, et qu’ils maintiennent leurs aspirations antérieures, on devrait penser à eux chaque fois qu’on se met au lit, le soir, ou qu’on se lève, le matin. Si vous avez leurs noms à l’esprit quand vous entamez une activité ordinaire, quelle qu’elle soit, sachez qu’elle sera couronnée de succès et qu’elle n’entraînera pas de perte. Réciter le discours du Dharma sur les huit [bouddhas] favorables a fait gagner les dévas dans leur combat contre les asuras. C’est parce que celles et ceux qui récitent ces noms restent à l’aise, sont intrépides, ne peuvent être dominés, et proclament les noms du réel. De même, ils triomphent au combat et sont invincibles, paisibles, jamais tourmentés, et sans peur. C’est ce qu’affirme le sūtra.

Il est généralement enseigné que le simple fait d’entendre le mot « Bouddha » est plus bénéfique que d’offrir des résidences, des nourritures divines et tous les types de nécessités à des multitudes de pratyekabuddhas pendant d’innombrables ères. Si c’est le cas, il va de soi qu’il est d’autant plus bénéfique de réciter respectueusement les noms de ces bouddhas, de leur rendre hommage, d’en créer des images et de leur présenter des offrandes. Les bienfaits immesurables qui découlent du simple fait d’entendre le nom d’un bouddha sont décrits dans maints sūtra. J’en ai également traité à plusieurs reprises dans mon texte intitulé Les noms des cent mille bouddhas.

Les huit bodhisattvas et les huit bodhisattvī

Mañjuśrī et les sept autres fils proches sont en essence des bouddhas éveillés, mais ils continuent d’œuvrer au bien des êtres en tant que bodhisattvas, et ils continueront de le faire tant que durera l’existence cyclique. C’est pourquoi divers sūtra comme L’éventail des qualités du champ pur de Mañjuśrī affirment que le fait de réciter les noms de Mañjuśrī est plus bénéfique que de réciter les noms de trois cent mille bouddhas[2]. De même, des sūtra et tantras affirment que cela est plus bénéfique encore que de réciter les noms d’autant de bouddhas qu’il y a de grains de sable dans le Gange ; ils attribuent aussi des bienfaits similaires aux noms de Vajrapāṇi. En ce qui concerne les hommages aux huit fils proches, les sūtra comprennent de nombreux passages merveilleux que j’ai compilé dans un récit unifié, intitulé Un collier de joyaux : Les actes splendides des huit fils proches[3]. Il suffit de le lire pour se faire une idée de l’ampleur de leurs prodigieux bienfaits. Le processus permettant de créer des conditions propices en se remémorant chacun de ces huit bodhisattvas, leurs emblèmes, voire simplement leurs noms, est mentionné dans plusieurs sūtra et tantras.

Les huit bodhisattvas féminins [ou bodhisattvī] demeurent à travers les âges à la manière de déesses qui vénèrent et réjouissent tous les bouddhas des trois temps. Toutefois, comme le mentionnent les tantras, elles ne sont en essence pas différentes des bouddhas.

Les huit fils proches et les huit bodhisattvī figurent dans les tantras sous divers noms, formes et aspects. Pensons par exemple à Yamāntaka et aux autres déités courroucées, ou à Gauri et aux autres déesses. Dans la tradition Sarma, ce sont les huit gardiens des portes de Śaṃvara, les bodhisattvas masculins et féminins de Guhyasamāja, les déités courroucées masculines et féminines de Bhairava, et diverses autres formes. Dans la tradition Nyingma, ce sont les huit déités des Kagyé et les neuf lampes de Yangdak Hérouka. Selon les tantras, toutes ces déités correspondent aux huit fils proches et aux huit bodhisattvī. Guru Padmasambhava lui-même a aussi déclaré qu’ils sont d’une même essence avec les huit manifestations de Guru Rinpoché.

Dans ce contexte, les huit bodhisattvī apparaissent sous l’aspect des huit déesses de bon augure. Le simple fait de se remémorer l’une d’elles suscite des conditions propices et met fin à tous les malheurs. Plus spécifiquement :

  • la déesse de l’ombrelle favorise l’apaisement des malheurs d’un royaume ;

  • la déesse des poissons dorés favorise une vision claire, l’intelligence, et le bien-être physique ;

  • la déesse du vase favorise d’infinies ressources matérielles, le résonnement infini du Dharma dans notre gorge, et ainsi de suite ;

  • la déesse du lotus favorise une parole éloquente, un physique attrayant, et l’absence de défauts ;

  • la déesse de la conque favorise une bonne dentition, la santé, une réputation excellente, et ainsi de suite ;

  • la déesse du nœud infini favorise la réalisation des vœux, l’accroissement de l’intelligence, et ainsi de suite ;

  • la déesse de la bannière de victoire favorise la majesté physique, la victoire dans toutes les directions, un statut élevé, et cetera ;

  • la déesse de la roue favorise le règne sur toute chose, des mains et des pieds de bon augure, la subjugation des adversaires, et ainsi de suite.

C’est également établi dans les sources mentionnées plus haut.

Les huit gardiens du monde

Le Guhyasamāja Tantra enseigne que Brahmā, Īśvara et Viṣṇu sont des émanations des trois vajras du Bouddha[4]. Ils seraient aussi les seigneurs des trois familles sous la forme de protecteurs du monde[5]. En ce qui concerne leur aspect, ces trois dieux ont rencontré le Bouddha et sont devenus des gardiens de ses enseignements et les rois de tous les protecteurs mondains.

Śakra est le seigneur des dieux. Ayant rencontré le Bouddha et perçu la vérité, il garde les enseignements de l’Éveillé et soutient les forces du bien. C’est aussi le roi des dieux des Trente-Trois. Il veille sur les humains et il les épaule dans leurs activités vertueuses.

Les quatre grands rois sont des bodhisattvas du huitième niveau qui furent principalement chargés de protéger les enseignements du Bouddha. Ce sont les puissants rois des gandharva, kumbhāṇḍa, nāga et autres êtres des quatre directions[6].

Donc, si l’on entend et retient le nom de n’importe lequel de ces huit gardiens du monde, on sera protégé des torts et dangers, et toute la positivité et les conditions favorables de l’ensemble des trois mondes ou des trois plans – sous la terre, sur la terre, et au-dessus – seront amplifiées. En s’en remettant à leur pouvoir et à leur splendeur, on peut apporter le bonheur et d’heureux augures aux habitants de ce monde.

Le pouvoir de la prière

Dans Les Strophes des huit nobles favorables, il n’est pas une seule déité de quelque maṇḍala que ce soit qui ne soit ultimement incluse parmi les huit tathāgata, les huit bodhisattvas, les huit bodhisattvī ou déesses de bon augure et les huit gardiens du monde. Ainsi, réciter ce texte et le traiter avec respect peut mettre un terme à tous les méfaits et obscurcissements et mener à toutes les qualités positives des domaines supérieurs de même qu’au bien sublime, exactement selon nos souhaits. On ne devrait pas en douter, puisque les déités présentées ici ont été louées par la plus grande autorité qui soit, le Bienheureux Bouddha lui-même, dans les sections des sūtra et des tantras. En ce moment même, les huit bouddhas vivent bel et bien dans leurs champs purs respectifs, et les gens qui souhaitent invoquer des conditions favorables célébreront le pouvoir associé à leurs noms. Toutefois, pour ce qui est de leur essence, il n’y a ultimement aucune différence entre les êtres éveillés. Comme le mentionne La prophétie à l’intention de Bhadra l’illusionniste :

Bhadra, si tu présentes une offrande à l’un des vainqueurs,
C’est à tous les bouddhas des dix directions que tu la présentes.
Il n’y a jamais eu la moindre différence
Entre leur sphère du réel et la mienne[7].

Tous purifient les offrandes en les acceptant ;
Aussi, une offrande à n’importe lequel d’entre eux suscite le plus grand résultat.
Tous les vainqueurs ont trouvé la même nature, pure et véritable ;
Il n’y a ainsi aucune distinction entre les bouddhas[8].

Je me contente pour l’instant d’offrir ce bref aperçu, pour votre aimable considération.

Écrit par le dénommé Mipham. Que la vertu et l’excellence abondent !


| Traduit en français par Vincent Thibault (2025) sur la base de la traduction anglaise de Lowell Cook (2025).


Bibliographie

Source tibétaine

'ju mi pham ʼjam dbyangs rnam rgyal rgya mtsho. "bkra shis brgyad paʼi don bshad pa." In gsung ʼbum mi pham rgya mtsho [Gangs can rig gzhung dpe rnying myur skyobs lhan tshogs], 2007. Vol. 1, pp. 51–58. http://purl.bdrc.io/resource/MW2DB16631_500298

Sources secondaires

84000, The Array of Virtues of Mañjuśrī's Buddha Realm (Mañjuśrībuddhakṣetraguṇavyūha, 'jam dpal gyi sangs rgyas kyi zhing gi yon tan bkod pa, Toh 59). Translated by Dharmachakra Translation Committee. Online publication. 84000: Translating the Words of the Buddha, 2024. https://84000.co/translation/toh59.

84000, The Eight Auspicious Ones (Maṅgalāṣṭaka, bkra shis brgyad pa, Toh 278). Translated by Bhikṣuṇī Thubten Damcho and team. Online publication. 84000: Translating the Words of the Buddha, 2025. https://84000.co/translation/toh278.

84000, The Prophecy for Bhadra the Illusionist (Bhadramāyākāravyākaraṇa, sgyu ma mkhan bzang po lung bstan pa, Toh 65). Translated by Kīrtimukha Translation Group. Online publication. 84000: Translating the Words of the Buddha, 2025. https://84000.co/translation/toh65.

Bardor Tulku Rinpoche, A Teaching on the Tashi Prayer. Trans. Lama Yeshe Gyamtso. Kingston: Rinchen Publications, second edition, 2005.

Dudjom Rinpoche, The Nyingma School of Tibetan Buddhism: Its Fundamentals and History. Translated by Gyurme Dorje and Matthew Kapstein. Boston: Wisdom Publications, 1991.

Jamgön Mipham, A Garland of Jewels. Trans. by Lama Yeshe Gyamtso. Woodstock: KTD Publications, 2008


Version : 1.0-20251112


  1. On ne sait trop où juste d’où provient ce passage. Bardor Tulku Rinpoche (2005, p. 8) estime qu’il est tiré du sūtra ; cependant, au sens strict, la phrase « Je rends hommage, fais des offrandes et prends refuge » ne s’y trouve pas. Il semblerait donc que Mipham fait référence aux lignes 1.3 à 1.10 du sūtra, sachant que, comme ailleurs dans ce texte, il ne les cite pas verbatim.  ↩

  2. Le passage auquel Mipham Rinpoché fait référence semble être le segment 1.260 de L’éventail des qualités du champ pur de Mañjuśrī (Mañjuśrībuddhakṣetraguṇavyūha, ’jam dpal gyi sangs rgyas kyi zhing gi yon tan bkod pa, Toh 59).  ↩

  3. Pour une version anglaise, voir : Jamgön Mipham (traduit par Lama Yeshe Gyamtso), A Garland of Jewels, Woodstock: KTD Publications, 2008.  ↩

  4. C’est-à-dire son corps de vajra, sa parole de vajra et son esprit de vajra.  ↩

  5. Les seigneurs des trois familles sont Mañjuśrī, Vajrapāṇi et Avalokiteśvara.  ↩

  6. Virūḍhaka règne sur les kumbhāṇḍa au sud; Virūpākṣa, sur les nāga à l’ouest; Dhṛtarāṣṭra sur les gandharva à l’est; et Vaiśravaṇa, sur les yakṣa au nord.  ↩

  7. « Sphère du réel » traduit ici chos dbyings (dharmadhātu).  ↩

  8. La prophétie à l’intention de Bhadra l’illusionniste (Bhadramāyākāravyākaraṇa, sgyu ma mkhan bzang po lung bstan pa, Toh 65), 1.95–1.96.  ↩

Mipham Rinpoche

Les huit symboles de bon augure

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